L’un des premiers projets très haut débit de France, Pau Broadband Country (PBC), a dix ans. Dix 10 ans déjà. Les principales délibérations de la Communauté d’Agglomération Pau Pyrénées datent en effet de 2003 et les premières prises FttH ont été allumées fin 2004. Au moment où les débats sur le développement d’une économie numérique nationale fondée sur les réseaux de nouvelle génération semblent encore connaître quelques difficultés à se traduire en relance tangible, il est instructif de revenir sur le cas palois. Il pourrait en effet montrer de quelles manières il semble possible de concilier investissements numériques publics, réduction des dépenses de fonctionnement des Collectivités Territoriales et construction de nouvelles ressources locales. Entre réussites, points d’efforts et limites, retour donc sur l’un des premiers affermages français dédiés aux réseaux très haut débit.
2003 à 2013, la première décennie PBC marque la fin de la première grande étape du projet, celle de l’édification des piliers de la politique numérique de l’agglomération Pau Pyrénées*. Construction du réseau, commercialisation auprès des fournisseurs de services, accords avec les syndics et les propriétaires privés, déploiement des solutions FttH et FttO, mise en place d’extensions radio pour les secteurs non immédiatement adressables en fibre optique, tentatives de soutien aux innovations usages, PBC a tenté de stimuler le décollage d’une économie du très haut débit. Où en est le projet en ce début d’année 2014 ?
Côté construction, objectifs atteints !
En janvier 2014, environ 75% des ménages de la Communauté d’agglomération Pau Pyrénées (150000 habitants) sont désormais raccordables en FttH. Élément particulièrement stratégique, les 55000 adresses construites peuvent même disposer de deux fibres à domicile. La quasi totalité des entreprises installées dans les zones d’activités de l’agglomération sont elles aussi connectables en FttO. Le réseau a été construit sur le domaine public par le délégant, la Communauté d’Agglomération, dans le respect du planning et du budget prévisionnels.
L’agglomération loue ses infrastructures « fourreau, câble, Point de Mutualisation » à un délégataire opérateur d’opérateurs, Axione en l’occurrence, via un contrat de Délégation de Service Public de type affermage. Le délégataire prend pour sa part en charge les déploiements en domaine privé, les actifs pour allumer le réseau et la supervision – maintenance. Cette entreprise filiale d’ETDE Bouygues se rémunère en commercialisant des services très haut débit à des clients opérateurs fournisseurs de services qui adressent les marchés professionnels et résidentiels. Un modèle affermage somme toute classique donc.
30% des foyers en très haut débit, la commercialisation du réseau décolle.
En janvier 2014, plus de 17000 foyers ont souscrit un abonnement FttH chez l’un des clients d’Axione qui adressent le marché résidentiel. Il s’agit de SFR, premier opérateur du réseau, d’Orange, présent sur la plaque depuis avril 2013, et d’E-tera, un opérateur régional. C’est un résultat intéressant. Sans compter les abonnements DSL dont une grande partie transite aussi via PBC, le réseau Pau Pyrénées réunit en effet plus de 30% du marché local adressable.
En ce début d’année 2014, ce sont en outre une trentaine de foyers qui souscrivent chaque jour un abonnement FttH. C’est notamment les résultats de « l’effet Orange » et de la migration en cours d’une partie de ses clients DSL vers le très haut débit. Avant la fin de la délégation, prévue initialement pour 2018, et en tenant compte de l’arrivée probable d’un nouvel opérateur national, PBC pourrait ainsi effectivement desservir en FttH pratiquement un foyer sur deux des quelques 71000 que compte l’agglomération.
Les résultats restent un peu moins probants côté entreprises, tout au moins en qui concerne les sociétés de moins de 10 salariés. Le réseau compte aujourd’hui environ 400 clients FttO. Un résultat en mettre en relation avec les caractéristiques du marché professionnel local. L’agglomération de Pau représente un volume d’environ 10000 sociétés, dont 800 entreprises de plus de 10 salariés. Si l’on estime que l’essentiel des offres FttO sont souscrites par ces dernières, ce serait donc plus d’un tiers de celles-ci qui utilise une offre PBC. Si ces estimations sont confirmées, le résultat serait donc bon pour ce segment de marché professionnel.
Il ne semble pas en être de même pour les entreprises de moins de 10 salariés. Elles sont environ 9500, sociétés de 0 salarié comprises. L’agglomération estime qu’environ 500 d’entre-elles, soit environ 5%, ont souscrit en fait une offre de type Ftth, plutôt résidentielle par conséquent. Même si ces statistiques restent à considérer avec précaution, ce résultat montre qu’il existe bien un « trou » dans les politiques commerciales du délégataire et de ses clients FAI. Solutions dédiées commerçants, artisans ou encore par exemple petites entreprises de services, les produits dédiés TPE resteraient bien à inventer. Faute de trouver des offres PBC intéressantes pour eux, ces entrepreneurs privilégient encore l’ADSL. Le cas de Pau est-il d’ailleurs vraiment exceptionnel dans ce domaine ? On peut en douter.
Des plannings et des budgets publics de construction tenus, un réseau commercialisé à la fois en prises actives ou en solutions passives, des résultats commerciaux intéressants, les ressources construites au cours de cette première étape semblent solides. Qu’en est-il côté budget ? Comment peut on approcher les performances du modèle DSP affermage à travers le cas de Pau Pyrénées ?
La viabilité d’un modèle économique affermage THD ? Il faudra deux DSP et une stratégie services plus large.
On peut estimer que les investissements de la Communauté d’Agglomération Pau Pyrénées, de 2013 à 2018, se monteront à environ 24 millions d’euros, dont 8 millions d’aide. A titre indicatif, cela ne représente qu’environ 40% du budget d’un autre grand projet palois, le bus-tram, qui fait beaucoup parler en ces temps de campagne électorale.
L’investissement « réseau THD public » produit à la fois :
- des recettes directes pour le délégant,
- des économies de dépenses de fonctionnement pour l’EPCI,
- et le déploiement de nouvelles ressources pour l’ensemble des acteurs locaux. Ce dernier point, pourtant important, n’est toutefois pas pris en compte ici.
Les recettes directes sont estimées dans le tableau ci-dessous. Elles intègrent les redevances, l’équivalent du loyer payé par Axione pour exploiter le réseau construit par la Collectivité, et les sommes versées par le délégant au titre de la clause de bonne fortune. Ces recettes représentent chaque année environ 2% du total des investissements autofinancés par Pau Pyrénées pour l’ensemble de la DSP 2013 – 2018.
Les « recettes indirectes » réunissent elles les économies de fonctionnement télécom de l’EPCI. Depuis 2013, la construction et l’utilisation directe d’une partie du réseau THD par Pau Pyrénées dispense en effet d’avoir recours au marché dans ce domaine. L’interconnexion des sites publics sur un réseau indépendant de fibres noires génère ainsi d’importantes économies de fonctionnement pour l’agglomération, malgré la nécessité pour celle-ci d’assurer l’exploitation et la maintenance de ses actifs en propre. Les liens ADSL entre bâtiments ont été remplacés par des liens gigabits sur lesquels sont transportées les données et la voix pour les besoins de l’ensemble des agents. La décentralisation des applications (impossible pour certaines auparavant du fait de la bande passante nécessaire), le confort du très haut débit avec des temps de réponse faibles, la facilité d’implémentation de mécanismes de sécurité sur un réseau propriétaire et les économies générées en terme d’abonnements, représentent un ensemble de gains qui rendent cette opération très intéressante techniquement et économiquement.
Ce serait ainsi environ 140000 euros qui serait économisés par Pau Pyrénées chaque année depuis la récente mise en place de ce volet. Cette économie semble en outre pouvoir être sensiblement augmentée au fur et à mesure que l’infrastructure permettra, d’une part, d’interconnecter plus de bâtiments et, d’autre part, de transporter d’autres services publics, au-delà d’ailleurs des seules solutions télécoms classiques.
Les résultats de cette première DSP THD paloise ne permettent toutefois pas à l’EPCI de revenir sur ces investissements sur un seul contrat de DSP. Nous n’avons d’ailleurs pas pris en compte dans ces estimations ni les frais financiers générés par les emprunts contractés par l’agglomération, ni les dépenses de fonctionnement, de type salaires par exemple, pouvant être directement rattachées à ces investissements. Il ne s’agit donc que d’une première approche incomplète. Elle aboutit toutefois à quelques indications intéressantes.
La première montre tout d’abord que la seconde DSP, si c’est cette solution qui est retenue par l’agglomération après la fin de l’actuel affermage, s’annonce budgétairement plus fructueuse pour l’investisseur public. Il y aura bien entendu encore de vrais besoins d’extensions de construction. Toutefois, parce que Pau a fait le choix de solutions THD permettant une vraie évolution en matière de stratégies de services, par exemple deux fibres à domicile, il ne semble pas irréaliste de penser que la durée de vie de ce réseau permet d’envisager sans grands soucis au moins deux contrats de délégations successifs. C’est donc sur une trentaine d’années qu’il faut mesurer la performance de l’investissement numérique public dans un affermage de ce type.
Pau Pyrénées confirme ensuite l’intérêt des chemins esquissés par d’autres Collectivités, par exemple par la Communauté de Communes Maremne Adour Côté Sud (MACS) dans les Landes. Ces projets numériques publics de nouvelle génération consistent non seulement à favoriser la construction d’un réseau THD local mais également à l’utiliser directement pour les besoins propres des investisseurs publics. Ils concilient donc des métiers d’aménageur numérique et de fournisseur de services publics. C’est un enrichissement considérable des modèles de DSP « classiques » ; il représente une vraie piste pour traduire des investissements THD aussi en économies de fonctionnement. Les précédents chiffres palois le montrent.
La capacité des investisseurs numériques publics à supporter les projets de ce type pourrait donc bien dépendre de plus en plus à la fois des recettes « du marché » mais aussi des économies de fonctionnement interne permises par ces investissements numériques. Investir pour économiser de l’argent public tout en modernisant les services locaux, cela semblerait donc possible.
Aménageur numérique mais aussi fournisseur de services publics en ligne. Et s’il fallait enfin favoriser l’extension des compétences publiques en matière de réseaux THD ?
La première DSP paloise a permis de bâtir des fondations techniques et commerciales dont les résultats d’exploitation montrent la solidité. La seconde ne devrait-elle pas se fixer comme objectifs d’inventer un « modèle économique et services » à la mesure des enjeux ? Je suis pour ma part de plus en plus convaincu que les projets publics THD de demain consisteront à assurer de manière convergente trois métiers complémentaires :
- des missions d’aménageur numérique,
- la distribution directe de services publics modernes et plus efficaces,
- des tâches de formation, d’accompagnement ou de soutien des initiatives, pas seulement télécom d’ailleurs, qui utiliseront les infrastructures numériques.
Schématiquement, les missions d’aménageur THD sont celles que PBC a remplies depuis 2003. Elles consistent à déployer des infrastructures à longue durée de vie et à favoriser le déploiement d’offres du marché. Ce sont celles que préparent les SDTAN et autres outils de planification de ce type. Elles sont indispensables. Elles ne semblent toutefois suffisantes :
- ni pour tenir des économies publiques déléguées qui devront de plus en plus tendre vers des modèles de type entreprise publique locale,
- ni pour créer cet « effet réseau THD » en termes de services, d’innovations ou d’emplois qui manque encore aujourd’hui,
- ni même sans doute pour inventer les services publics locaux de demain.
Comment pourrait-on avancer ? je vois au moins deux préalables indispensables.
- Le premier est législatif. Il relève de la responsabilité de l’État français et consiste à enfin moderniser la réglementation nationale dans le domaine des télécommunications. Les Collectivités n’ont par exemple toujours pas le droit de jouer directement un rôle de vrai fournisseur de services sur leur réseau. C’est un peu comme si l’on interdisait à un entrepreneur d’utiliser ses propres investissements pour moderniser son métier. C’est une loi d’un autre temps ! Il faut rapidement revoir l’article 1425.1 et les fondations législatives des politiques numériques publiques.
- Le second concerne les stratégies services des investisseurs numériques. Il concerne les Collectivités Territoriales bien entendu, mais aussi, de plus en plus sans doute, l’écosystème local, ce rhizome d’acteurs locaux, d’élus, d’entrepreneurs, d’associations et d’habitants, qui pourrait transformer ces réseaux THD en vraies ressources et moyens d’actions.
Une grande partie du succès des investissements THD publics pourrait en effet bien dépendre de cette convergence entre aménagement et développement numérique, entre ces métiers complémentaires de gestionnaire de réseau, une économie des VRD en quelque sorte, et ces leviers de distribution de services de proximités augmentées à déployer partout. La France a progressé en matière d’aménagement numérique. Les solutions de proximités augmentées restent toutefois encore à inventer. Ce sera l’un des thèmes au centre des premiers ateliers des proximités augmentées qui se tiendront à Pau Cité Multimédia les 15 et 16 octobre 2014. On en reparle très vite.
* Sous l’impulsion du Président Labarrère (PS) et avec l’appui notamment du Vice-Président Jean Arriau (UMP), j’ai techniquement dirigé les projets numériques de Pau Pyrénées, dont PBC, pendant une dizaine d’années avec mon ami Gérard Fauveau et une équipe commando composée de fonctionnaires territoriaux managé(e)s par notre DGS de l’époque, Evelyne Lalanne-Courrèges.