Transitions et lutte contre le réchauffement climatique. Green tech, entreprises à impacts, projets des collectivités (…), et si tout cela n’était pas suffisant ? Et si seules, ces louables initiatives ne servaient même presqu’à rien ?

Cette quatrième publication marque la fin d’un cycle de recherche expérimentale organisée autour de cette question : quelle serait la forme et l’organisation d’un Web pensé comme une ressource mutualisée pour contribuer à la réussite des transitions socio-écologiques ? Dans un premier article introductif, j’ai présenté les bases sur lesquelles se fonde mon travail. Je les rappelle brièvement.

La première correspond à une observation de plus en plus partagée : le Web dominant d’aujourd’hui n’est pas disruptif. Il renforce au contraire les modèles du monde d’hier dont chacun mesure les impasses, notamment climatiques.

La seconde explore la piste ce que je nomme « une autre croissance », un processus à même de nous faire grandir en développant de façon progressive nos capacités pour concilier réduction d’environ 5% par an de nos émissions personnelles, réinvention des liens sociaux, et plaisir de vivre.

Pour y parvenir, la troisième postule qu’il sera difficile de réussir sans disposer de ressources en ligne performantes et non dépendantes de plateformes des champions du Web d’aujourd’hui. L’enjeu consiste bien à mettre la transition numérique au service de la transition écologique.

Une seconde publication a présenté les principaux résultats d’une expérimentation sur ce sujet ; expérimentation en cours depuis 2014. Elle confirme la faisabilité technique du projet et qualifie un modèle économique. Elle entrouvre ainsi une voie pour inventer un nouveau métier : celui de fournisseur de services en ligne dédiés transitions. Cette expérimentation pointe toutefois de véritables limites. Le bilan est par exemple peu probant en matière de réduction des émissions. Il s’avère même médiocre côté résilience ; nous ne sommes par exemple pas parvenus à intensifier les coopérations en mode pair à pair entre usagers.

Il existe pourtant nombre de technologies, de talents et de services qui utilisent le Web pour travailler les transitions. Greentech, Tech for good, low tech, entreprises à impact, ou encore initiatives publiques, leur nombre augmente chaque jour. L’impression qui domine reste toutefois celle d’initiatives trop isolées et finalement assez loin de constituer une réponse à la mesure des enjeux actuels. Une véritable plateforme dédiée transitions reste donc à inventer. Telle est tout au moins l’hypothèse que je défends. Pour la mettre en discussions, un troisième article a proposé une piste : transformer l’actuel service universel des communications électroniques en service universel des transitions avec pour chacun de nous une identité et des parcours personnalisés.

Pour tenir les impératifs et le calendrier de lutte contre le réchauffement climatique, l’action locale ou territoriale, publique ou privée, comme les initiatives du monde de la tech ne représentent seules que de sympathiques gesticulations !

Cette piste confère donc à l’État, et à l’Europe, un rôle clé. Plusieurs des membres de la petite communauté Numericuss ont été surpris qu’un défenseur comme moi de l’action locale, de la décentralisation et des réseaux de proximité prenne une telle position. Je les comprends. Je ne cache d’ailleurs pas mes doutes. Je m’interroge par exemple sur la capacité des pouvoirs publics centraux à se réinventer face à l’ampleur des changements à engager. En ce printemps 2023, ces doutes vont d’ailleurs grandissant face au spectacle d’une nation incapable de co-construire hors des simplifications populistes. Mais ces doutes ne changent rien sur le fond. Je voudrais donc expliquer comment plus de huit ans d’expérimentations sur ces sujets m’ont amené à une conclusion exprimée volontairement de manière provocante. L’action locale ou territoriale, publique ou privée, comme les initiatives du monde de la tech ne représentent seules que de sympathiques gesticulations ! Sans réinvention des rôles des pouvoirs publics centraux et plus encore des modalités de coopérations, elles ne permettent pas, et ne permettront sans doute jamais, d’avancer au rythme que les luttes contre le réchauffement climatique imposent : moins de dix ans pour tenter de rester à moins de 2°C. Pour y parvenir, je pourrai d’ailleurs adopter avec autant de facilité une position inverse : l’action de l’État seul relève pareillement de l’impasse.

Ce n’est pas en effet une logique jupitérienne qui sera le sésame, nationale comme locale d’ailleurs. Je défends au contraire la nécessité d’inventer une nouvelle gouvernance. Pour se situer dans la logique des travaux de Gilles Deleuze et de Félix Guattari, je la qualifie de « rhizomatique » pour désigner une organisation en réseaux réunis autour d’un grand projet commun : inventer la civilisation soutenable de demain.La proposition d’un service universel des transitions ne consiste donc pas à tout remettre dans les mains de l’État. Au contraire, elle tente d’esquisser l’un des leviers coopératifs pour avancer. C’est le récit de la genèse de cette idée qui organise les lignes qui suivent. Le but consiste à expliquer comment un farouche défenseur de l’action et des organisations de proximité en est arrivé à défendre une piste comme celle-ci.

Au départ était pourtant une intuition hyperlocale : inventer un immobilier « plug and play transitions »

Au départ était pourtant une intuition hyperlocale. Elle peut se résumer ainsi : pour réussir nos parcours transitions, l’un des leviers les plus efficaces ne consisterait-il pas à réinventer l’unité de base de notre vie, le foyer, la maison, l’habitation, notamment en enrichissant ses interactions avec son environnement social, économique et naturel proche ? Cette intuition se nourrit de nombre de travaux, dont ceux de Gaston Bachelard, qui montrent à quel point les lieux de vie sont profondément imprégnés de l’histoire comme des émotions des individus. Ils participent donc à la formation de notre identité. Elle s’inspire aussi d’Edward S. Casey sur l’enracinement. L’enracinement renvoie pour lui à la manière dont les individus sont liés à un lieu et à une communauté. Casey montre à quel point cela influence notre conception de la vie. Mon point de départ se fonde encore sur les thèses défendues par Martin Heidegger (1927 et 1951) sur l’habiter. Pour Heidegger, « l’habiter » désigne notre relation avec le monde qui nous entoure. Il s’agit d’une manière d’être au monde qui transcende donc la simple occupation d’un espace physique pour établir un lien profond avec l’environnement, les lieux et les objets. L’habiter d’Heidegger construit ainsi une expérience quasi spirituelle de la vie qui inciterait à reconstruire nos interactions sensibles avec les autres et avec la nature. Or, la réussite de la lutte contre le réchauffement climatique n’impose-t-elle pas de repenser nos formes et nos manières d’être-au-monde ? J’en suis persuadé ; c’est donc la construction de ce nouvel habiter qui a nourri mes premiers travaux sur un Web dédié transitions.

Lorsqu’on ouvre sa porte ou ses fenêtres ou lorsqu’on chemine autour de son lieu de vie ou de travail, on s’imprègne des odeurs, des bruits et des images qui s’offrent à nous ; on croise des gens ; on s’arrête sous un arbre ; on admire les oiseaux et les plantes ; on sent l’oxygène du printemps en forêt ; on contemple le spectacle du vivant. Comme le rappellent Bachelard, Casey ou Heidegger, ces sensations contribuent à construire notre identité, nos racines et notre être-au-monde. Elles déterminent ainsi une partie de notre rationalité et des facteurs qui nous font prendre au quotidien des décisions. Cela est également vrai lorsque nous découvrons d’autres mondes ; nos explorations se construisent aussi pour partie en fonction de nos racines. Permettez-moi une parenthèse personnelle pour tenter de m’expliquer. J’ai habité au Brésil au milieu de la décennie 1980, dans un univers où le cafezinho cousinait celui que l’on subit, si l’on n’y prend pas garde, par exemple en Californie. Un jour de novembre 1986, à de nombreuses dizaines d’heures de bus de mon Nordeste brésilien, j’ai franchi le Rio de la Plata pour aborder Buenos Aires en Argentine. Il était environ 10h du matin ; notre nuit avait été blanche ; les rues autour de la Plaza Libertad grouillaient d’un monde plus bavard encore que les espagnols que l’on croise dans nos cols communs d’Aspe et d’Ossau. Les filles ressemblaient davantage à mes copines de France qu’à celles des plages du Brésil. La lumière n’était plus celle du tropique du Capricorne ; il y avait comme un air des beaux cieux du piémont des Pyrénées. Nous sommes rentrés dans un bar. En une fraction de seconde, après plusieurs mois de vie pourtant fabuleuse au Brésil, je me suis soudainement senti chez moi. J’ouvrai presque la porte des troquets palois. Je retrouvais le bruit des machines expresso ; je sentais à nouveau l’odeur de mes cafés ; le comptoir était encombré de viennoiseries ; la posture des Argentins intrigués par notre sabir brésilien, comme la manière des femmes d’observer discrètement le beau morphotype indien amazonien d’Ivanildou, l’ami avec qui je voyageais, tout me ramenait à mes racines. À ce moment-là, Buenos Aires est devenue ma ville préférée et l’Argentine, plus que le Brésil, mon projet ; un projet plus tard vainement esquissé en Patagonie.

C’est ce shoot d’émotions et la force de cette géographicité, au sens d’Éric Dardel (1990), que je cherche à réinventer dans ce Web dédié transitions. Je rêve qu’en quelques clics et qu’en quelques rencontres, nous puissions désirer dégraisser nos existences pour en revenir à l’essentiel et trouver facilement comment y parvenir en ressentant du plaisir. Je rêve que ce Web contribue à enrichir les interactions entre les hommes et les liens entre les hommes et la nature. Utopies certes, mais motrices ; elles sont de plus en plus indispensables.

Le projet expérimenté pour cela explore la piste d’un Internet qui contribuerait à réinventer un urbanisme et un immobilier que l’on pourrait nommer « plug dans play transitions ». Ces lieux ne proposeraient donc plus seulement un habitat et un espace public pour répondre aux besoins des hommes ; ils leur fourniraient également plus de ressources pour adapter leurs modes de vie aux impératifs de lutte contre le réchauffement climatique.

Le début de solution mise en œuvre ces dernières années consiste à augmenter les fonctions offertes par les bâtiments dans lesquels on vit ou on travaille (protection, chaleur, fraîcheur, énergie, eau…) par un autre service désormais aussi important : décarboner, relocaliser, s’adapter, mutualiser… Telle est la finalité de la plateforme de services dont il est question dans cette série de publications. À l’instar des services postaux, téléphoniques, ou électriques par exemple, le but est que chacun de nous, indépendamment de notre lieu de résidence ou de notre situation socio-économique, puisse disposer du droit fondamental d’accéder à une plateforme de services et à une communauté pour des transitions simplifiées, ludiques et stimulées. Cette plateforme augmenterait les effets des techniques de construction ou d’isolation déjà utilisées pour les bâtiments performants et les puits de carbone associés.  

Fort des résultats encourageants de l’expérimentation lancée à ce sujet sur une zone d’activités, j’ai donc cherché à améliorer cette première version à la confrontant à d’autres partenaires et à d’autres preuves de concepts. Il restait en effet tant à faire. Mon parcours professionnel a orienté mes tests vers deux univers : les aménageurs ou promoteurs d’une part, les délégataires de Réseau d’Initiatives Publiques (RIP) très haut débit d’autre part.

Aménageurs et promoteurs : de l’habitat à l’habiter ?

L’immobilier n’échappe pas à la tendance servicielle que l’on observe depuis plusieurs années. Les solutions proposées se concentrent généralement sur des univers directement liés à la gestion du bâtiment (maintenance, pilotage fluides et énergies, sécurité…). Avec la fourniture d’un bouquet de services associé à l’occupation d’une surface, le métier des spécialistes de l’immobilier se rapproche alors un peu de l’hôtellerie ou des gestionnaires de centres commerciaux.

Pour tester la piste Web transitions, l’ambition des projets prototypés, et dans un cas en phase de lancement, consiste à aller plus loin en inventant cet habitat « plug and play transitions ». La solution correspond à celle esquissée précédemment : elle consiste à augmenter les fonctions offertes par les bâtiments dans lesquels on vit ou on travaille (protection, chaleur, fraîcheur, énergie, eau…) par un autre service désormais aussi important : décarboner, relocaliser, s’adapter, mutualiser… Le but est de fournir à chaque résident une solution simple pour qu’il dispose, dès le premier jour de la prise de possession des locaux, d’une plateforme de services comme celle synthétisée dans la figure qui suit.

Trois Sociétés d’Économie Mixte (SEM) et une Société Publique Locale (SPL) de l’Ouest et de l’Est de la France, toutes spécialistes de l’aménagement, de la gestion immobilière et de la promotion, ont été pendant environ quatre années partenaires de cette étape. Ce type de projet a été également examiné avec deux promoteurs privés. Un test a enfin été réalisé pendant quelques mois dans une école primaire du Sud-Ouest de la France.

Cette étape de codesign a été instructive. Elle a permis de qualifier à la fois les possibles points d’accroches et les situations dans lesquelles cette solution ne paraît pas adaptée. Il est ainsi possible de résumer ces enseignements en trois points clés principaux.

Le premier procure des informations sur la dimension minimale des périmètres à cibler. On peut dire schématiquement que quelques dizaines d’usagers ne permettent pas d’avancer. Quelques centaines, comme dans le cas de l’expérimentation en cours sur un parc d’activités, conviennent, mais seulement si ce nombre limité est compensé par une intense activité d’animations en présentiel et par un des efforts d’enrichissement des relations usagers ou clients. Sur le test de Pau, nous comptons ainsi plus de 200 actifs par semaine sur environ un millier d’inscrits. L’idéal serait toutefois de disposer d’un volume minimum de plusieurs milliers de participants et, plus intéressant encore, avec une mixité de publics (résidents, salariés au travail, offreurs de services…). C’est la dimension des projets élaborés avec l’une des SEM partenaires de la deuxième étape ; un projet qui devrait voir le jour dans quelques mois.

Le second enseignement tiré de cette étape démontre l’intérêt des convergences entre numérique et énergies. Il révèle que ce type de projet plateforme gagne grandement à être associé à une offre d’énergie nouvelle et renouvelable (ENR). Géothermie de surface, électricité photovoltaïque, valorisation d’énergie fatale d’un data centre ou d’un centre de calcul, ou encore interconnexion avec une unité de méthanisation proche par exemple, le tout associé à une solution de pilotage, ce mix ENR et services transitions en ligne est un véritable atout. Il augmente le taux d’engagement des participants et réduit, par cette mutualisation, les coûts de distribution et de pilotage de l’ensemble des services énergie et Web. Il consolide ainsi la valeur de la solution qui devient ainsi l’un des référentiels transitions du quotidien. 

La troisième des conclusions confirme l’importance d’être hybride et géographiquement agile. Hybride tout d’abord ; les tests réalisés confirment à quel point le fait de disposer d’un ou de lieux physiques augmente la performance de ces projets. Il peut s’agir d’un comptoir d’accueil d’un parc d’activités, d’une conciergerie de quartier, d’un tiers lieu ou encore d’un accord avec un professionnel proche (commerces, hôtels…). À chaque fois, nous avons pu mesurer la plus-value de cette hybridité ; plus-value sociale, plus-value en termes de simplicité et d’expériences utilisateurs ou encore, par exemple, plus-value en termes d’acceptabilité. Géographiquement agile ensuite puisque quasiment chaque type de services ou de solutions distribuées impose des partenariats spécifiques qui relèvent de périmètres différents : l’immeuble, les commerçants ou assimilés de la rue ou du quartier, la commune et l’intercommunalité, les agriculteurs du terroir par exemple, mais aussi des partenaires soit plus éloignés, soit en ligne.

Une promotion orientée transitions ? Les obstacles rencontrés pour inventer ce nouveau métier

Ces trois principales conclusions convergent vers une question clé : qui pourrait lancer et faire vivre ce type de plateforme ? La réponse n’est ni unique ni simple ; tout ce qui suit est donc à considérer avec beaucoup de prudence. J’ai toutefois testé plusieurs solutions, avec des succès divers, pour aboutir des enseignements encore à confronter avec d’autres opérations de ce type.

Le test école n’a pas été probant ; cela tient sans doute surtout à la petitesse de la population de participants : une seule classe de l’école, environ 30 parents d’élèves. Je reste pourtant convaincu de l’intérêt d’associer les lieux d’enseignements à ce type de plateforme.

Les discussions avec les promoteurs privés ont achoppé pour des raisons différentes. Pour l’un d’entre eux, pourtant entreprise à mission en plein essor, j’attends encore le retour promis ; sans doute n’étais-je pas le bon médiateur. Pour l’autre, l’obstacle était double : il fallait d’une part disposer d’opérations de grande dimension (voir enseignement 1 plus haut), ce n’était pas le cas, et trouver d’autre part comment intervenir hors du périmètre de l’opération. C’est en effet une véritable difficulté pour un promoteur.

Le cas des SEM et SPL s’est révélé proche de celui de ce second promoteur. Deux d’entre elles disposaient d’opérations à la bonne taille. Une seule a avancé. L’autre a principalement souffert je crois des réticences de son conseil d’administration pour faire évoluer les périmètres métiers de la SPL dans un contexte local très marqué par de nombreux contentieux et procès avec des promoteurs privés. Comment ne pas comprendre ces réticences ?

Au final, les discussions et le codesign de ce Web pour un habiter « plug and play transitions » révèlent l’ampleur des difficultés à surmonter. Dimensions d’opérations souvent trop réduites, mixité des solutions entre ENR et Web souvent impossible, évolutions métiers délicates, l’entrée par ces acteurs pourtant clés de la gestion ou de la promotion immobilières montrent ses limites. Je ne pense donc pas que cette entrée soit la bonne pour enclencher une dynamique à la mesure des calendriers de la lutte contre le réchauffement climatique. Dans un scénario idéal, je suggère plutôt d’examiner une piste du type extension du droit à la fibre ou volet spécifique des logiques du type Réglementation Environnementale 2020. Le droit à la fibre impose aujourd’hui aux promoteurs, via le Code de la construction et de l’habitation, d’équiper en fibre optique les bâtiments neufs. Si une stratégie nationale ou locale dédiée existait, ce droit pourrait être augmenté pour qu’il incite ou oblige les promoteurs à devenir partenaire de la plateforme de services dont il est question dans ces publications.

Parallèlement à cette piste promotion, j’ai d’ailleurs pu explorer un autre levier directement relié à ce droit à la fibre : celui d’une évolution des économies déléguées via les Réseaux d’Initiative Publique Très Haut Débit.

L’étape 2 des RIP : ne serait-ce pas le moment d’affirmer que le numérique est vraiment une affaire publique de première importance ?

Malgré leur périmètre centré seulement sur les zones non denses, les RIP représentaient en effet pour moi le levier idéal. La logique me semblait en effet naïvement imparable ; je la résume rapidement. Avec la fin programmée des travaux de déploiements optiques, la première étape de ces projets de délégation de service public (DSP), œuvrant donc pour des missions de services publics, devait s’achever dans la décennie 2020. Il était donc temps d’envisager une étape 2 dans laquelle le délégant et le délégataire associeraient leurs efforts pour donner plus de valeur ajoutée, notamment territoriale, à ces infrastructures. En une formule rapide, l’idée suggérait d’enrichir les modèles actuels d’opérateur d’opérateurs (vente de prises optiques à des fournisseurs d’accès Internet) via une mission neutre dédiée transitions. Cette mission, toujours opérée pour le compte de la collectivité délégante, consisterait à agréger et à distribuer, via l’infrastructure optique déployée ou via les data collectées à cette occasion, une plateforme de solutions en ligne pour décarboner, relocaliser et mutualiser. On ne se contenterait plus ainsi de déployer des infrastructures optiques dont la grande majorité de la bande passante est exploitée par des réseaux sociaux et par des plateformes de streaming dont l’intérêt local et la valeur transitions est pour moins réduite… Ces solutions émaneraient tant du monde la tech ou des entreprises que des univers associatifs. Elles seraient retenues sur l’initiative du délégant, par exemple après un appel à manifestation d’intérêt, pour être agrégées au sein d’une véritable plateforme, par exemple comme celle esquissée dans cet article.

Un premier modèle socio-économique a été testé avec succès à ce sujet : il relève de la logique des communs, tarifés par exemple sur le modèle des charges de type copropriétés. En parallèle des équipements réservés aux transactions avec les clients fournisseurs d’accès Internet, une partie de l’infrastructure des RIP serait ainsi un commun dont nous serions tous en partie propriétaires. Cela nous donnerait le droit de disposer, à des prix bas, d’un accès à un portail de solutions pour lutter contre le réchauffement climatique et pour enrichir les relations de proximité. Ces solutions seraient distribuées par un ou des fournisseurs de services transitions agissant pour le compte de la puissance publique.

Mes premières discussions à ce sujet, avec un opérateur d’opérateurs filiale d’un immense groupe de BTP, remontent à 2008. Le but consistait déjà à donner plus de valeurs locales et plus d’impacts transitions à ces DSP. Même si dans l’agglomération de Pau, dont je venais alors de démissionner, nous avions anticipé en déployant 2 fibres par abonné pour constituer un patrimoine réseau public à côté des câbles réservés au marché, c’était sans doute bien trop tôt. J’ai donc profité de ces années de recherche expérimentale pour avancer via les tests dont il a été question dans les précédentes publications.

Mon espoir était que les résultats de ces essais diffusent suffisamment pour attirer l’attention d’un opérateur de RIP ou d’une collectivité délégante. Côté collectivité, à ce jour, la lumière est toujours éteinte. En revanche, en 2020, un important groupe qui exploite un peu moins d’une trentaine de RIP a examiné les solutions esquissées. Comme expliqué dans cet article, malgré la qualité de mes contacts dans ce groupe, ces discussions sont restées sans lendemain. L’écoute a été intéressée et les échanges riches, mais l’orientation proposée posait de nombreux problèmes contractuels. Elle obligeait par exemple à revoir les contrats de DSP et l’économie déléguée. Cela ne représentait pas un obstacle rédhibitoire, au contraire, mais il aurait fallu un signal politique fort d’un délégant local par exemple, ou une vision « différente » de celles des traditionnels aménageurs numériques. J’attends encore l’un comme l’autre. Délégants comme délégataires se bornent donc toujours à déployer et à vendre des infrastructures optiques dont l’essentiel sert Meta, TikTok, OpenAi ou encore Netflix, des champions bien connus de la souveraineté numérique et de la transition écologique…

Est-ce que cela changera avec la mission « Environnement et Numérique » récemment confiée par Infranum à Éric Jammaron, Président d’Axione ? L’avenir le dira. Mais, à ce sujet, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt cet article du Monde en date du 27 mars 2023 sur le « grand vertige des télécoms » et l’indispensable changement de modèle. Il relate notamment les propos de la directrice générale d’Orange, Christel Heydemann, à l’occasion du congrès mondial de la téléphonie de Barcelone. Pour elle, « 46% des PDG du secteur des télécommunications pensent que leur entreprise ne passera pas la décennie suivanteJe me demande vraiment, ajoute-t-elle, ce que nous avions en tête il y a dix ans pour l’avenir de notre industrie européenne ». Nous sommes nombreux à nous poser la même question depuis même le milieu des années 2000.

Le même article du Monde de mars 2023 reprend les propos de Nicolas Teysseyre du cabinet Roland Berger. Il rappelle qu’en permettant la connexion et la circulation des données, les réseaux fixes et mobiles des opérateurs télécoms sont l’une des pièces centrales du numérique. « Et pourtant, dit-il, la très grande partie de la valeur de la chaîne est captée par d’autres » (Gafam et assimilés). Le constat est bien connu depuis des années. Il reste à inventer la ou les bonnes solutions pour remettre plus de symétrie dans cet univers. Je ne suis d’ailleurs pas sûr que les réclamations des opérateurs télécom pour que ces champions du Web participent financièrement à la construction de leurs réseaux aboutissent… Je ne suis pas même convaincu que cela soit la bonne réponse tant désormais le rôle de ces opérateurs, pour ces géants du Web, se réduisent de plus en plus au dernier kilomètre. Comment penser que l’on peut durablement créer de la vapeur en devenant une utility ?

Ce soir ou dans quelques années, les conflits sociaux risquent de se multiplier, notamment sous la pression grandissante des dérèglements climatiques. Les tensions internationales se tendront peut-être plus encore. Les questions liées à la dégradation du pouvoir d’achat et à l’insuffisance des ressources, notamment publiques, pour réussir à bifurquer resteront encore à résoudre. Les logiques de croissance du monde d’hier seront un souvenir ; il faudra inventer une autre croissance, j’espère comme celle esquissée dans mon premier article. Les divorces démocratiques et politiques grandiront. Un pouvoir populiste aura même peut-être été élu ; il échouera, car le simplisme et le repli sur soir sont tout sauf des solutions.

Dans quelques années alors, un ou élue, une ou un dirigeant des rares groupes qui exploitent les Rip prendra-t-il alors peut-être la parole dans une de ces nombreuses assisses qui ponctuent nos vies collectives pour interroger l’assistance : mais qu’avions en tête il y a dix ans au moment de bâtir les économies numériques déléguées ? Étions-nous à ce point aveugles pour ne pas comprendre que le numérique européen était surtout un sujet sociétal et un levier de transitions qui aurait permis à l’Europe d’ouvrir un nouveau chemin ? Rêve, cauchemar, fausse bonne idée, là encore, l’avenir nous dira.

Une conclusion provisoire en mode « et maintenant ? »

Dans l’attente, je termine provisoirement cette longue période d’expérimentations par une conclusion et une suggestion. Côté conclusion, il faut bien reconnaître que toutes mes hypothèses locales plus tech ont échoué. Je pensais que le local pouvait pourtant être le premier levier d’invention de ce Web dédié transitions. Je misais pour cela sur une coopération enrichie entre tech et territoires. Je ne le crois plus. Ce récit explique pourquoi. Bien sûr il y a, et il y aura, de formidables projets territoriaux ; bien sûr des startups et des entreprises vont continuer à proposer des solutions potentiellement à fort impact. Mais le rythme d’engagement et de diffusion de ces projets territoriaux et de ces innovations est trop lent, trop aléatoire, trop inégalitaire.

Côté suggestion, je plaide donc pour que l’État ou l’Europe ose un nouveau modèle et ouvre ce chantier via un signal fort, par exemple par la création d’un service universel dédié transitions. Sa fnalité première serait de poser la première pierre d’une nouvelle organisation en réseaux, d’un véritable partenariats publics – privés associant l’ensemble des organisations intéressées par ce projet commun.

Je rappelle l’existence de ce sondage en ligne à ce sujet.

Bibliographie

Bachelard G, 1957, La poétique de l’espace, PUF.

Edward S. Casey, 1993, Getting Back into Place: Toward a Renewed Understanding of the Place-World, Indiana University Press.

Deleuze G, Guattari F, 1980, Mille Plateaux. Les Éditions de Minuit.

Heidegger Être et Temps » (1927), ainsi que dans des textes ultérieurs tels que « Bâtir, habiter, penser » (1951).

Dardel E., 1990, L’homme et la terre, Paris, Colin, réédition, Paris, CTHS.

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