Faire l’école avec le numérique ou laisser les smartphones hors des classes ?

Philippe TIZON

Avec cette vaste interrogation, Numericus inaugure une nouvelle rubrique sous la forme d’une revue de presse thématisée. Objectif : croiser plusieurs publications récentes autour d’une même question en prenant le contre-pied de la tendance « clic compulsif » pour retrouver la valeur du temps dans la résolution des problèmes. Quelque chose comme une revue de presse en mode slow web donc. Nous utilisions pour cela auparavant Scoop-it. Nous l’abandonnons face à une évolution de ses Conditions Générales d’Utilisation que nous désapprouvons. Cette première revue de presse est l’œuvre de Philippe Tizon, ami sociologue déjà complice des curations précédentes. Elle pointe quelques faits saillants, quelques prises de position ou quelques décisions emblématiques sur les usages du numérique dans les formations et les processus d’apprentissage. Elle donne la priorité à ces « petites choses » qui se passent dans les classes, les labos, les amphis ou les ateliers, et dont dépendent souvent les succès comme les échecs. Premier sujet aujourd’hui donc : faut-il faire l’école avec le numérique ou laisser les smartphones hors des classes ? Voici ce qu’en dit une partie de la presse.

Pour commencer, nombre d’articles ont récemment rappelé que plusieurs dirigeants des GAFA et de la Silicon Valley ont choisi d’interdire ou de limiter drastiquement la fréquentation des écrans à leurs enfants. On rappellera par exemple à ce sujet les propos virulents de Chamath Palihapitiya qui fut vice-président en charge de la croissance du nombre des utilisateurs de Facebook et qui regrette d’avoir favorisé l’émergence d’outils qui « détruisent le fonctionnement de la société ».

Le numérique intéresse pourtant nombre de professeurs. Ainsi, pour cet enseignant, Yannick Choulet, la dictée c’est ringard, surtout pour ces jeunes qui, si l’on en croit par exemple ce sujet de France Info, ne sauraient plus (tout au moins plus aussi bien) tenir et manier crayons, stylos et autres outils d’écriture du siècle passé . Les arguments de Yannick Choulet sont intéressants ; les réactions des élèves également. Ainsi cet écolier qui affirme j’aime bien les Twictées car on aide les autres élèves.

Le système éducatif français semble lui aussi jouer beaucoup de la tablette. Comme ces 500 gamins de Marseille qui utilisent tous les jours une tablette dotée d’un logiciel finlandais pour apprendre à lire en jouant. Cette expérimentation est menée sous le regard de chercheurs du laboratoire de psychologie cognitive de l’université d’Aix-Marseille.

Alors, face à ce qu’ils analysent comme des impasses voire des leurres, des enseignants prennent à nouveau la parole, par exemple dans Libération.

« Toutes ces promesses de renouvellement pédagogique par les technologies innovantes relèvent, en réalité, d’un renoncement à la pédagogie. Quand on nous oppose qu’il faudrait vivre avec son temps, nous pensons précisément qu’il est urgent de prendre quelque distance avec une époque affectée d’une boulimie consumériste et technologique aux effets catastrophiques, tant socialement qu’écologiquement. » Face aux excès en tous genres des grandes plateformes, dont les erreurs de Facebook ne sont que la dernière illustration, comment ne pas partager leurs craintes ?

Mais faut-il pour autant refuser tout le numérique à l’école ? Est-ce d’ailleurs possible de penser une école de la république complètement déconnectée ? Plusieurs textes incitent en fait à reposer la question du numérique dans les classes dans un mode différent.

Ici, il est question des révolutions à petits pas venant de ces enseignants qui n’attendent pas les réformes pour réinventer l’école en constatant qu’enseigner, ce n’est plus seulement diffuser des savoirs.

Là, on comprend de quelles manières il serait possible de retrouver des marges de manœuvre vers cette société apprenante que le chercheur François Taddéi (INSERM) décrit dans son rapport « Plan pour co-constuire un société apprenante ». Il y invite notamment à créer des « labs des métiers de demain » ouverts à tous de tous les âges.

Un avis que l’agence de presse suisse LargeNetwork partage en rapportant le fonctionnement des relations professeurs- étudiants d’une université d’Atlanta et les choix pédagogiques de l’école Polytechnique Fédérale de Lausanne où les MOOCs font florès !

Tous ces articles incitent ainsi à la fois à échapper à toute tentation magique et à éviter quelque posture dogmatique que ce soit contre le digital. Le numérique n’est en effet ni le sésame mécanique d’un apprentissage enrichi pour les écoliers, ni une ressource pédagogique à refuser. Sacrés débats, sacrés enjeux (et pas seulement pédagogiques et citoyens) ! On les suivra ici nécessairement !

5 commentaires sur “Faire l’école avec le numérique ou laisser les smartphones hors des classes ?

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  1. J’ignore comment traduire ma méthodologie de recherche en pédagogie, mais il me semble possible de potentialiser le processus heuristique avec le processus algorithmique ; faire fonctionner les processus algorithmique et heuristique en dialogie, comme dirait Edgar MORIN ; il est vrai que, au préalable, je suis passé par la case formation d’analyste-programmeur, mais cela ne me paraît pas une obligation :
    1/ établir le programme de recherche avec les hypothèses à vérifier, en heuristique ;
    2/ chaque fois que l’algorithmique est plus puissant que l’heuristique ne pas hésiter à changer de cheval ; par exemple lorsque tu as besoin de faire 36 000 multiplications (ou autres fonctions simples), cas qu’un géographe du développement local peut rencontrer fréquemment en recherche ;
    3/ valider les conclusions heuristiques en traitant algorithmiquement les données quantitatives dont nous disposons ;
    4/ dans tous les cas, le processus heuristique doit rester maître de la démarche de recherche.
    J’ai l’impression d’être toujours parvenu à des conclusions robustes, voire coriaces.

  2. Pour tenter de faire du « Bernard », je dirai que la complexité de ton commentaire est justement, d’un point de vue heuristique, une difficulté pour impulser de la découverte. Tu ne crois pas ? 🙂

  3. Bernard,

    Je vous remercie pour votre contribution à ce premier post publié sur Numericus.
    L’ampleur de la réflexion que vous proposez m’étonne, en réponse à un simple « brouette organisée et thématisée » de liens.
    Nous promouvons le slow web…et cela vous donne l’occasion de nous entraîner dans des sphères très conceptuelles.
    Mon ami J.P. Jambes vous a répondu ci-dessus avec l’ironie active et utile qui le caractérise.

    Je lis et je respecte depuis 45 ans Edgar Morin ; je ne comprends pas toujours tout… mais à 20 ans lire « Les stars », « L’esprit du temps » ou « Autocritique », ça vous armait (ça vous arme) bien pour bien vivre.

    Pour la formateur que j’ai été pendant 42 ans, votre 1/ c’est l’ambition du cours, de l’atelier, du TD que vous concevez. Son projet doit être clair pour vous et pour les apprenants. Les bons jours, il vous fait envie !
    Le plus riche dans l’action de former, c’est votre point 2/: s’adapter, réagir, bifurquer, improviser, faire tout autre chose… car il y a des « faits de classe » (comme il y a des « faits de jeu » dans le football contemporain) ; c’est aussi le moment où le formateur se met en danger, le moment où l’initiave peut venir des auditeurs, qu’elle soit ou non formulée explicitement. Cela peut partir en « live », échouer… mais avec l’expérience (au sens de François Dubet) c’est le moment-joie du métier. Et c’est là qu’est le métier : mettre votre projet et votre envie (conditionnée notamment par un programme ou une habilitation) à l’épreuve de l’acte pédagogique (le plus souvent collectif) !

    Alors, quand les minots de Marseille apprennent à lire avec une méthode finlandaise réputée sur une tablette sous le regard de nos collègues chercheurs de l’université d’Aix-Marseille, je me demande où est l’imprévu ? où est la folie ? où est la « capacité d’action » stratégique sur le moment pour eux ? pour leur maître ? en face à face et en groupe !

    Il se dit que le grand Sénèque estimait : « on ne trouve guère un grand esprit qui n’ait un grain de folie ».
    Nous poursuivrons l’échange Bernard, dans quelques jours ou quelques semaines, sur d’autres thèmes et pour moi sur ces bases !

  4. Jean-Pierre,
    Tu as probablement juste … mais je n’ai aucune raison de croire complexe, voire incompréhensible, un raisonnement que je trouve non seulement simple, mais encore qui passe facilement au tamis de l’empirique.

  5. Philippe,
    Pas de souci avec l’ironie de Jean-Pierre : nous sommes tous les deux géographes ; discipline des mauvaises nouvelles, mais pas spécialement guerrière.
    Je comprends assez bien votre propos, mais l’art de la pédagogie m’échappe, alors que je suis considéré comme bon maître d’apprentissage : montrer le geste, le processus, la logique, l’espace de création … en pratique, les deux disciplines sont complémentaires (la formation en alternance), mais difficile à fusionner.
    Je suis désolé que des pédagogues parviennent à croire qu’un bon programme informatique peut les décharger de la part fastidieuse de la pédagogie. Je n’ai pas l’expérience des moments où la grâce touche le pédagogue, mais celle des instants où dans une classe il se passe quelque chose, oui. J’ai aussi l’expérience des moments merveilleux où la qualité du geste de l’apprenti dépasse la mienne.
    Je vous confirme vous être disponible.

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