Voici quelques années, la question aurait semblé bien saugrenue. Mais, à la lecture des innombrables articles publiés au sujet de l’affaire Cambridge Analytica, l’est-elle toujours autant ? Trois arguments mis en avant par les médias montrent l’ampleur des doutes. Le modèle Facebook pose tout d’abord bien problème. Il s’avère ensuite de plus en plus délicat de croire aux mesures d’autorégulation. Les solutions de régulation restent enfin encore à inventer. Tout cela incite donc bien à se poser la question : peut-on vraiment être élu-e de la République et utiliser Facebook ?
Le doute n’est plus permis, le modèle Facebook pose bien un problème
Les prises de position politique sur ce sujet se multiplient. On citera par exemple le député MoDem de Savoie, Patrick Mignola, qui, dans «Le Talk Le Figaro» affirmait récemment «On le vit au quotidien sur le plan fiscal, sur le plan de la responsabilité pénale avec les “fake news”, et dans les médias, dont ils diffusent les contenus tout en captant 80% du marché publicitaire.» Désormais rapporteur d’une proposition de loi sur cette question, il réclame notamment un meilleur partage des revenus entre les Gafa et les éditeurs.
Suite à la rencontre entre le PDG de Facebook et les parlementaires américains, Le Monde reprend également dans ce texte des accusations plus graves encore. « Aujourd’hui, le réseau social est accusé de contribuer à un génocide en Birmanie, d’avoir participé à une manœuvre d’ingérence électorale inédite aux Etats-Unis, de favoriser la division de la société américaine, de propager les fausses informations et de saccager la vie privée. Facebook ne peut pas tout stopper, mais pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour se rendre compte que le réseau social pouvait poser problème ? » Difficile désormais de faire comme si l’on ne savait pas non ?
Selon Le Parisien, les français sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à partager ces craintes. Le sondage, réalisé par l’Ifop, le confirme : « 73 % des Français sont au courant du scandale, 67 % d’entre eux déclarent se méfier de Facebook, et 25 % des abonnés disent envisager de supprimer prochainement leur compte ! »
Facebook aura du mal à vraiment changer de modèle
Depuis l’affaire Cambridge Analytica, les excuses de Marc Zuckerberg succèdent aux promesses. Le discours du fondateur de Facebook s’organise maintenant autour d’une liste de mesures d’autorégulation. Mais peut-on vraiment croire que le modèle de Facebook permette de concilier respect de la vie privée et rentabilité ? Beaucoup en doute. « Les actions que vous prenez pour vous assurer que les tiers n’obtiendront pas de données d’utilisateurs à leur insu, bien que nécessaires, serviront en fait à renforcer la capacité de Facebook à vendre ces données elles-mêmes exclusivement », a par exemple observé John Thune, sénateur du Dakota du Sud.
La Tribune estime ainsi que le temps de l’autorégulation pourrait bien toucher à sa fin. « Une ombre plane au-dessus de Facebook, et des autres géants d’Internet : une régulation américaine. Contrairement aux Européens, les Américains ont très peu encadré la collecte des données personnelles jusqu’ici. L’administration Obama avait tenté en 2012 de faire passer – en vain – une législation plus protectrice des données personnelles. Mais les scandales à répétition, accompagnés d’une prise de conscience collective, plaident en faveur d’une nouvelle législation. » La Tribune rappelle notamment ce communiqué de presse du sénateur républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham, qui écrit : « … j’en suis certain : une auto-régulation n’est pas la bonne réponse au regard des derniers abus constatés sur Facebook. »
Une grande partie du débat consiste en fait désormais à savoir si Facebook (comme Google d’ailleurs) est, ou pas, en situation de monopole. C’est ce que rappelle Le Monde dans cet article : « C’est une des questions les plus pressantes auxquelles doit faire face Facebook aux États-Unis… Face au républicain Lindsey Graham et ses questions précises sur une éventuelle situation monopolistique de Facebook (qui nécessiterait donc des actions des pouvoirs publics), Mark Zuckerberg a patiné, incapable de convaincre son interlocuteur que Facebook faisait face à une véritable concurrence. »
La régulation de Facebook reste à inventer
Hormis sans doute pour les publicités politiques, cet article du Monde confirme toute la difficulté du chantier. « En 2012, Barack Obama avait tenté de faire passer une législation visant à protéger les données personnelles (Consumer Privacy Bill of Rights) mais les géants de la tech, au premier rang desquels Google, n’avaient pas eu de mal à bloquer le mouvement, arguant de leur rôle essentiel dans l’essor du commerce en ligne… Mais les temps changent : après des années de tiraillements, le Congrès a réussi à adopter, fin mars, une loi sur la pornographie en ligne (sex-trafficking online), qui affirme la responsabilité des plates-formes pour le contenu posté. »
Au travers de son Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), l’Europe montre d’ailleurs la voie. Mais, comme le rappelle Le Figaro, « Mark Zuckerberg a fait savoir que Facebook n’appliquerait pas le prochain règlement général pour la protection des données (RGPD) à l’ensemble de ses utilisateurs ». Pire même, si l’on en croit Numerama, le patron de Facebook aurait reçu instruction dans ses notes de ne pas dire « que l’on fait déjà ce que le RGPD demande » pour ne pas avoir à étendre au reste du Monde la règle européenne.
Devant les erreurs à répétition de Facebook, le sénateur démocrate de Floride, Ben Nelson, dont les propos sont repris par Le Figaro, pose clairement les termes du débat : « si Facebook ne peut pas résoudre ses problèmes de protection de données privées, nous allons le faire». Dont acte, mais comment ?
On pourrait se diriger vers une législation antitrust comparable à celle utilisée au début du XXe siècle par Roosevelt pour réguler la Standard Oil qui contrôlait alors 90 % du raffinage, du transport, du commerce et de la distribution de pétrole. Le Monde rappelle d’ailleurs à ce sujet que « Facebook contrôle près de 80 % du trafic des réseaux sociaux sur téléphone mobile, grâce à Instagram, WhatsApp et Messenger. Avec Google, la firme collecte 85 % de tout le marché publicitaire américain sur Internet…Mais de l’avis des experts, les infractions au Sherman Antitrust Act sont difficiles à établir. Et cette solution ne réglerait pas la question du respect de la vie privée, qui n’est pas liée à la taille de la compagnie. »
On le voit, le chemin sera encore long. Il n’est d’ailleurs pas exclu que la force des lobbies ralentisse considérablement le déploiement des politiques de régulation. Peut-on donc faire comme si rien ne se passait ?
Dans bien d’autres domaines, nombre de décideurs publics en appellent au principe de précaution. Ils ont souvent raison. Au nom de ce même principe, n’est-il donc pas urgent que tous ceux qui défendent le respect de la vie privée et la plus grande transparence possible décident de prendre des distances avec ce réseau et surtout d’expliquer pourquoi ? Peut-on vraiment être élu-e et utilisateurs de Facebook ou de ses « applications » comme Messenger, WhatsApp, ou encore par exemple Instagram ? Qu’en pensez-vous ?
Ma réponse à la question : j’applique depuis quelques temps ce principe de précaution à mon compte Facebook ; je n’y poste plus guère que des infos sans valeur réelle, professionnelle ou personnelle. Il va disparaître ou se vider dans quelques jours, dès que j’en ai le loisir, cela ne semble pas très simple. Son apport fut, en ce qui me concerne, très limité, plus « déconstructif » qu’instructif. Le réseau a laissé passer deux tentatives de piratage sur trois (déjouées, mais une potentiellement grave) dont j’ai fait l’objet en 18 ans. Quant à l’apport « social »… j’y ai plutôt lu des « humeurs ».
Ma réponse à la question : j’applique depuis quelques temps ce principe de précaution à mon compte Facebook ; je n’y poste plus guère que des infos sans valeur réelle, professionnelle ou personnelle. Il va disparaître ou se vider dans quelques jours, dès que j’en ai le loisir, cela ne semble pas très simple. Son apport fut, en ce qui me concerne, très limité, plus « déconstructif » qu’instructif. Le réseau a laissé passer deux tentatives de piratage sur trois (déjouées, mais une potentiellement grave) dont j’ai fait l’objet en 18 ans. Quant à l’apport « social »… j’y ai plutôt lu des « humeurs ».
Bonjour Vincent. On est en phase. Il reste toutefois à inventer une alternative libre à FB pour compléter la logique moteur de recherche, type Qwant, à une solution moteur de découverte acceptable. Car c’est amusant aussi de surfer le « nez au vent », sans trop savoir ce que l’on cherche, en mode donc internaute un peu passif… Sans se faire instrumentaliser. A suivre.
Je rajoute ce lien qui montre bien que, comme souvent, les tempêtes n’accouchent pas toujours de vrais changements. C’est en tout ce que je retiens de cet article de https://www.frenchweb.fr/face-au-congres-americain-mark-zuckerberg-a-laisse-passer-lorage/322057. Bonne lecture
suite de la revue de presse, cet article https://siecledigital.fr/2018/04/13/des-senateurs-americains-proposent-des-lois-pour-reglementer-facebook-et-ses-paires/
Présentée sur le site de la sénatrice, cette proposition va s’articuler autour de plusieurs solutions pour les citoyens américains :
– donner aux consommateurs le droit de refuser et la conservation de leurs informations privées en désactivant le suivi et la collecte des données ;
– offrir aux utilisateurs un meilleur accès et un meilleur contrôle sur leurs données ;
– exiger que les modalités de service soient rédigées dans un langage clair et simple ;
– s’assurer que les utilisateurs ont la possibilité de voir quelles informations les concernant ont déjà été collectées et partagées ;
– exiger que les utilisateurs soient avisés d’une fuite de leurs données personnelles dans les 72 heures ;
– offrir des recours aux utilisateurs en cas de violation ;
– exiger que les plateformes en ligne disposent d’un programme de protection de la vie privée.