Plaidoyer en faveur de la fin d’un aménagement numérique du territoire « hors sol »


franceComme signalé dans le précédent article de Numericuss, Cécile Duflot, Ministre de l’égalité du territoire et du logement, a récemment confié à Claudy Lebreton, Président de l’Assemblée des Départements de France, le soin de réaliser un rapport sur « les territoires numérique de la France de demain ». 
J’aurai le plaisir d’être auditionné à ce sujet par le Président Lebreton le 20 mars 2013. Le texte ci-dessous esquisse donc une position à ce sujet que je soumets à la critique des lecteurs de ce blog. La version finale de ce texte sera finalisée dans les prochains jours.

Quelques constats

Pour que le numérique fonctionne effectivement comme l’un des leviers efficaces en faveur d’une moins grande inégalité entre territoires, il faut sans doute qu’il trouve plus de place dans nos espaces de vies, notamment en facilitant l’accès aux services à même d’apporter de véritables plus-values à tous et partout. Or, à ce jour, l’aménagement numérique semble encore trop « désincarné », trop éloigné des préoccupations quotidiennes des entreprises et des usagers. Pour preuve, les principaux outils des politiques d’aménagement numérique, SDTAN et RIP, sous-exploitent ces dimensions services ; ils se présentent comme des dispositifs quasiment « hors sol » insuffisamment construits en fonction des besoins des usagers, en particulier de ceux qui sont géographiquement ou socialement éloignés des pôles urbains.

Les documents de planification numérique, de type SDTAN, ne suffisent pas à préparer les territoires aux mutations numériques.

A-t-on en effet déjà vu, dans les Collectivités Territoriales, délibération aussi structurante mais aussi austère que celles qui concernent les Schéma Directeurs Territoriaux d’Aménagement Numérique (SDTAN) ? Au sein de ces documents de planification numérique, le lancement d’un réseau fibre optique y est décrit comme un événement aussi important que l’arrivée de l’électricité ou de l’eau courante ; il y est pourtant présenté de telle manière qu’il faut être technicien confirmé, militant convaincu ou opposant farouche pour parvenir au bout de la lecture. Qui d’ailleurs, dans l’opinion publique, se passionne pour l’analyse comparée des réseaux passifs et des offres de prises activées ? Qui a envie de ferrailler sur l’intérêt de construire une nomenclature technique commune ? Qui s’intéresse aux récentes décisions en matière d’atténuation du signal sur les fibres optiques? Ces sujets, pourtant clefs, ne motivent au mieux que quelques centaines de milliers de personnes.

Ils ne se fondent pas sur les besoins des usagers en matière de services

En revanche, quelle est la proportion des français qui s’interroge sur les solutions numériques de maintien à domicile des personnes âgées ? Qui serait intéressé par un projet « très haut débit » construit pour augmenter, par exemple, les capacités d’un hôpital de proximité ? Qui ne reste pas interloqué en comparant le déluge justifié de discours sur la nécessité de réduire les émissions de Co2 et l’absence de solutions, pourtant simples, de visio-guichets de services publics ? Des millions d’entres-nous sans aucun doute aujourd’hui ; des dizaines de millions demain si l’on prenait plus de temps à expliquer et à co-désigner ces solutions avec les usagers des territoires cibles.

Alors que le numérique transforme chaque jour nos comportements, les dispositifs publics d’aménagement numérique oublient en grande partie de « mettre en projet » ces nouveaux outils de gestion de la cité. Pourtant, sans une réelle convergence entre réseaux et production de services pour les usagers, non seulement le risque est grand de se voir à nouveau opposer les supposés infranchissables murs d’investissement, y compris d’ailleurs aux plus hauts des manageurs publics et privés, mais il semble surtout vain de penser que l’infrastructure suffira seule à réguler les inégalités structurelles entre territoires.

Les Réseaux d’Initiative Publique, notamment du fait de la loi, ne donnent pas non plus aux Collectivités les moyens de maîtriser suffisamment la distribution des services publics ou d’intérêt public en ligne.

Or, aujourd’hui, la visibilité et les principaux impacts des RIP restent encore confinés aux seuls espaces privés. Ils restent trop invisibles dans la cité. Aucun candélabre symbolique pour marquer l’allumage des fibres publiques, pas la moindre fontaine d’informations sur la place de la Cité, les réseaux numériques publics s’allument et rien ne changent ou presque. On évoque des programmes en milliards d’euros mais on ne prépare aucun véritable bouleversement positif associé. L’allumage, par exemple, d’une boucle locale fibre optique devrait être une fête inoubliable ; elle se limite presque à une conférence de presse.

N’est-il donc pas indispensable, en particulier pour les RIP, les Collectivités Territoriales et l’Etat de donner plus de visibilité à leurs investissements réseaux ? Mobiliers urbains intelligents, plates-formes de visio-services, convergences entre réseaux fixes publics et mobiles ou encore, par exemple, smart grid, les possibilités d’actions dans ces domaines donnent pourtant d’ores et déjà les moyens de faire de l’arrivée du très haut débit ce qu’il devrait être, c’est-à-dire un véritable événement qui transforme les façons de vivre, de gérer et de travailler ou de se former, hors donc du seul cadre des offres strictement télécoms.

Pour retrouver les vraies dimensions politiques de ces chantiers, ne faut-il pas remettre au premier plan les solutions de gestion de la cité permises par ces réseaux ? Il y a là non seulement matière à plus-values locales mais aussi à création d’emplois et à plus grande efficacité des dépenses publiques. C’est d’ailleurs ce qu’a déclaré le Président de la République en Auvergne le 20 février 2013. Pour lui, « l’infrastructure ne suffit pas ». Formation, qualification, soutien aux usages, solidarités, pour F. Hollande « c’est de démocratie qu’il s’agit ».

Pistes

Comment faire donc pour rendre possible de projet démocratique ? Sans doute en prenant enfin toute sa mesure politique et en démontrant, plus que nous ne le faisons aujourd’hui, à quel point le numérique s’impose désormais comme une dimension à part entière de la gestion de l’espace public.

Comment L’Etat et les Collectivités Territoriales pourraient-ils donc procéder ? Les travaux réalisés, les témoignages, les avis d’experts sollicités, notamment pour Territoires et Numérique, esquissent peut-être quelques pistes.

Passer d’une politique de réparation à une stratégie d’invention numérique qui commencerait aussi dans les espaces périphériques.

Le rural, et plus largement les espaces périphériques, ne resteront-ils pas durablement et structurellement « en retard » si l’on continue à leur appliquer seulement des politiques de réparation numérique ? Nombre d’indices tendent à le démontrer. Ne serait-il pas plus efficace, pour l’ensemble de la nation d’ailleurs, d’en faire surtout des lieux d’invention de nouvelles manières de mixer proximités physiques, qualité de vie comme de travail et services en ligne ?

Un plan en 6 volets prioritaires.

Pour passer d’une politique de réparation à une stratégie d’invention numérique, nous recommandons d’envisager les solutions complémentaires suivantes.

  1. La première consisterait à intégrer dans les SDTAN un programme « égalité des territoires et numérique » comprenant un volet infrastructures, comme aujourd’hui, conçu toutefois désormais aussi en fonction d’un plan « services publics et d’intérêt public ». Ce plan serait élaboré au niveau territorial avec l’appui, par exemple, des instances nationales, d’entreprises et d’organisations locales. Pour les SDTAN déjà votés, nous recommandons de les compléter comme indiqué ci-dessus.
  2. Une seconde solution pourrait passer par l’enrichissement des dispositifs permis par la loi en matière de RIP. Ces derniers restent aujourd’hui limité à un rôle de concessionnaire, voire de fermier de niveau 1 (construction des infrastructures passives). Ces dispositions réglementaires nous semblent réduire de manière excessive les capacités d’action numériques territoriales. Le management de projets importants, et en particulier ceux ayant trait à l’égalité des territoires, s’en trouve gêné. Nous recommandons par conséquent d’envisager des solutions permettant aux RIP de jouer un rôle de fournisseurs de services numériques publics, soit directement, soit via des outils communs à plusieurs RIP, de type SPL ou SEM par exemple.
  3. Une troisième solution pourrait avoir trait aux infrastructures et comprendrait notamment deux dispositions importantes. La première passerait par le maintien dans toutes les plaques locales, publiques et privées, d’offres de prises FttX activés. Pour des opérateurs alternatifs, y compris hors du monde des télécom, ces solutions offrent en effet la possibilité technique et financière de lancer d’autres services et de faire jouer la concurrence. La seconde consisterait à enrichir les dimensions publiques des réseaux filaires de nouvelle génération par des extensions radio de type Wifi. Ces extensions radio, par exemple concentrées dans les centres de petites villes, de bourgs et de villages, permettraient de répondre aux besoins croissants des usagers en matière de mobilité et de favoriser le développement de plateforme de services publics innovantes. Ces mix réseaux THD / extension WIFI  permettraient d’ailleurs de consolider sans doute l’économie des RIP en proposant des solutions adaptées aux opérateurs de services sur smartphone.
  4. La quatrième des solutions à examiner consisterait d’ailleurs, en complément des logiques de type Open Data – Big Data, à co-concevoir ces plateforme de services de proximité entre acteurs publics, entreprises spécialisées et usagers. Ces logiques de co-design permettraient en effet non seulement des solutions d’ingénierie financières plus supportables mais donneraient en outre enfin une vraie dimension « locale » aux offres télécoms envisagées. Les expériences que nous menons dans ces domaines, en zones d’activités économiques ou sur des sites touristiques, confirment d’ailleurs l’intérêt de ces solutions.
  5. Une cinquième solution devrait forcément être de nature législative. Ce serait l’une des finalités d’une loi destinée non pas seulement à assurer l’aménagement numérique du territoire, comme c’était le cas de la PPL Maurey-Leroy par exemple, mais visant aussi à soutenir le développement des territoires par le déploiement des réseaux de nouvelle génération et des services publics associés. Elle soutiendrait les effets d’entrainement liés aux réseaux très haut débit en même temps qu’elle définirait les conditions de leurs déploiements. Cette loi serait également l’occasion d’adapter l’ingénierie financière actuellement en discussion pour les domaines cibles.
  6. La sixième des propositions que nous soumettons a trait à la Recherche Développement. Elle définirait une politique de soutien en faveur de l’expérimentation, puis de l’industrialisation, de dispositifs innovants. Ces derniers concerneraient bien entendu les services mais aussi les techniques de construction, voire de co-construction d’une partie des infrastructures à construire, ou les programmes d’accompagnement ou de formation des publics cibles. Dans ce domaine, une première décision simple consisterait par exemple à lancer une série d’appels à projets dans des domaines liés à la socio-économie territoriale afin de matérialiser rapidement les plus-values services à cibler. Zones d’activités économiques, économies touristiques, relations collectivités / usagers, plateforme d’interactions locales, enrichissement des solutions de valorisation patrimoniale, soutien à des dispositifs de transport partagés ou innovants, la liste des sujets est longue. Elle montre d’ailleurs que ce sont bien d’abord les projets de ce type qu’il faut soutenir plus que la création de nouvelles instances.
  7. La proposition 7 enfin concernerait l’organisation des dispositifs de coopération et de mutualisation des initiatives locales au niveau national. Elle viserait à agir local et, dans le même temps, à mutualiser nationalement. Cette double capacité s’impose en effet de plus en plus comme l’un des sésames de l’efficacité. Et l’aménagement numérique n’échappe pas à la règle; bien au contraire. Il s’avèrerait donc utile que les  pouvoirs publics, en particulier les RIP, se dotent des organisations collectives qui leur font encore défaut à la fois pour promouvoir leurs patrimoines télécom et pour co-déployer des solutions services.

Ce draft sera repris et complété dans les prochains jours, notamment en fonction de vos éventuelles critiques à jpjambes(at)gmail.com. Je propose d’ailleurs à ceux qui le souhaitent de signer leur propre contribution.

15 commentaires sur “Plaidoyer en faveur de la fin d’un aménagement numérique du territoire « hors sol »

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  1. Comment veux-tu qu’un STDAN ou autre machin-AN réponde aux besoins du territoire en question lorsque tu sais que les cabinets-conseil qui les rédigent et parfois les gagnent travaillent tous de la même manière : de simples copier/coller-chercher/remplacer à partir d’un seul et même modèle – généralement leur premier dossier gagnant.
    Exemple celui de la Marne, gagné par un cabinet Lyonnais, depuis Lyon : strictement aucune mention du secteur économique principal du département : le Champagne. Sur les possibilités d’utilisation du THD pour la gestion de la Vigne & du Raisin : RIEN.
    Alors, aménager la France Rurale à partir de Lyon ou Paris, hein…

  2. Les SDTAN existent et sont visiblement l’une des pierres angulaires des dispositifs. Il faut donc tenter de les enrichir autant que possible. Ou alors il faut les remplacer…

  3. Bonjour,

    Merci pour ces propositions qui me paraissent particulièrement pertinentes au vue de la lecture du contexte actuel que j’ai en tant que non spécialiste de ces questions liées au THD et l’aménagement du territoire.
    Je me permettrais simplement une remarque sur le manque de référence directe à la question du nécessaire accompagnement des usages des habitants-citoyens (que ce soit en terme de moyens ou de prise en compte dans les projets politiques).
    A ce sujet les acteurs de « la médiation numérique » dont je fait partie ont lancé un appel au gouvernement qui peut trouver écho dans certaines des propositions de votre plaidoyer (et réciproquement) http://www.coraia.org/?page_id=3344
    Parallèlement à ça nous avons aussi demandé d’être entendu également par Claudy Lebreton… nous attendons une réponse.

    Cordialement

  4. Je viens de lire votre texte sur médiation numérique que j’avais loupé. Il signale bien l’importance d’enjeux trop ignorés en effet. Pensez vous que la DUI soit le levier idéal pour mener ces projets ?

  5. Je ne sais pas s’il y a un levier idéal, mais actuellement un des enjeux de la médiation numérique est de continuer à être soutenue au niveau national par une une structure qui aura la légitimité et les moyens d’incarner une transversalité interministérielle ne pas se laisser enfermer dans le giron d’un seul ministère (sans moyens). La DUI si elle était investi de cette mission pourrait jouer ce rôle là nous pensons.

    Pour la médiation numérique le choix risque d’être vite fait si nous n’affirmons pas une stratégie de soutien affiirmée : Soit la DUI avec une lettre de mission en ce sens, soit la CDC sous entendu recherche de modèle économique rentable pour la caisse avec un label payant Fablab par exemple.

    Comme il est dit dans l’appel c’est d’un portage politique et d’une légitimité « à tous les étages » dont nous avons besoin pour rendre indissociable les dvlpt des infras et l’accompagnement des usages. Dis autrement de façon un peu simpliste mais revendicative  » 100€ pour les tuyaux = 1€ pour l’accompagnement (et la création) des usages.

    Il y a d’autres leviers à activer c’est sûr, mais dans l’immédiat celui-ci revêt pour nous un caractère stratégique particulier surtout depuis la rencontre nationale du 15 février à Bercy.

  6. Enrichir les SDTAN : oui si le « Local » est véritablement pris en compte, et pas seulement au travers de pseudo-interviews sans aucune prise avec les réalités du terrain.

    Les remplacer : oui bien entendu c’est mieux, par des schémas directeurs « locaux », dirigés en fonction des besoins locaux hors le sempiternel triple-play par des experts locaux, selon une méthode unique pour tout le pays et suivant un catalogue de solutions techniques standards, interoperables, et répondant à un référentiel unique sur l’ensemble du territoire national.

  7. Bonjour, mon premier commentaire sur votre site que je lis depuis longtemps… Par où commencer ? Pour en venir finalement là : l’enjeu majeur du développement numérique des territoires se situe précisément là où les pouvoirs publics ne le placent pas. L’enjeu, c’est le téléphone mobile partout, et pas du tout la fibre optique jusque chez l’habitant !

    – l’ensemble de la politique « d’égalité des territoires » ne tourne-t-elle pas aujourd’hui de plus en plus… à vide ? Voire n’est-elle pas foncièrement délétère ? Dans son principe-même, cette politique ne revient-elle pas, comme disait Alphonse Allais, à vouloir construire des villes à la campagne ? De plus, ce qui est vecteur de dynamisme aujourd’hui dans les territoires ruraux (du moins dans ceux qui manifestent un certain dynamisme) n’est-il pas – au contraire !- la recherche et la promotion d’une véritable inégalité des territoires ? La politique de développement des parcs nationaux et régionaux, par exemple, avec un objectif de 10% du territoire national labellisé, n’est-elle pas, dans son essence-même, une politique de distinction des territoires, donc inégalitaire ? Ce qui fonde l’idée même de terroirs, autre exemple, n’est-il pas, fondamentalement, que les terroirs ne se valent pas, dès lors qu’il est question de faire du bourgogne ou bien du roquefort ? Là-encore inégalité.

    Au bout du compte, la politique d’égalité des territoires conduit directement à celle de « la compétitivité des territoires », c’est à dire la mise en concurrence généralisée des territoires les uns CONTRE les autres ! Ça produit un considérable gâchis d’argent public avec de très maigres résultats concrets en terme d’implantation d’activités économiques nouvelles, qui sont d’ailleurs très souvent la conséquence d’effets d’aubaine ou d’une sorte de « mercenariat de l’aide publique ». Disons-le franchement, c’est un désastre !

    – Par ailleurs, quand le développement, sur l’ensemble du territoire, d’infrastructures techniques nouvelles a été justifié par la notion de service public, et donc d’accès égal, il n’a pas été dit qu’on doive obligatoirement en passer par un service unique centralisé. Pensons aux services publics de l’eau potable, de l’électricité ou encore de l’assainissement : on fait selon les cas, en variant les solutions techniques selon des critères de faisabilité et de rentabilité. Même pour l’électricité (le plus centralisé de ces réseaux), il arrive un moment où la solution la plus raisonnable n’est pas de brancher directement le site isolé sur la centrale nucléaire, mais de produire sur place du solaire ou de l’éolien, en finançant le différentiel d’investissement par une péréquation.

    J’en viens donc à ma remarque principale : les politiques d’égalité numérique des territoires dont vous parlez ne sont-elles pas, avant tout et principalement, des politiques de la fibre optique ? Or la pertinence technique de la fibre optique, pour ce qui est des usages aussi bien que sur le plan économique, et donc a fortiori la pertinence d’un service public de la fibre optique, sont-elles démontrées ? Pour ma part j’en doute, et vu le prix que ça coûte, je demande à voir avant de signer !

    On n’a qu’à voir ce qui se passe déjà en ville (et sur la base d’un développement de l’infrastructure financé par le privé et non par le public)… Mettons de côté le téléphone fixe : le réseaux internet haut débit par ADSL (qui représente aujourd’hui l’accès internet majoritaire) utilise en effet un réseau physique (le fil de cuivre jusque chez l’habitant) qui a été financé par un opérateur public et ce réseau a été amorti depuis bien longtemps sur la base d’un autre usage (le téléphone fixe). Comparons donc deux techniques qui requiert le développement d’une infrastructure nouvelle : le téléphone mobile et le câble (fibre optique jusque chez l’habitant). Il est tout à fait clair qu’autant le développement de l’un est aujourd’hui… fulgurant, autant le développement de l’autre est, depuis bien des années, quasiment… végétatif !

    Je ne prendrai qu’un exemple que j’ai sous les yeux : cet immeuble parisien que je connais bien dans lequel la fibre optique est arrivée gratuitement sur tous les paliers depuis bien des années mais où bien moins d’un résident sur dix s’est montré intéressé par le dernier mètre de branchement jusqu’à l’intérieur de l’appartement !

    On voudrait donc aujourd’hui câbler toutes les campagnes, pour un coût astronomique !, alors même que là où cette infrastructure est déjà installée, gratuitement pour l’usager, ce dernier n’en voit justement pas beaucoup… d’usage. Soyons lucides. Quels sont les motivations principales pour le branchement sur la fibre optique des particuliers dans une ville comme Paris ? Le téléchargement – le plus souvent illégal – de musiques et de vidéos – le plus souvent américaines ; certains jeux vidéos en réseaux, d’ailleurs plus gourmands en réactivité de la connexion que réellement en débit de celle-ci ; le nombre de chaînes de télévision, notamment étrangères (quoique l’ADSL et le satellite soient devenus concurrentiels aujourd’hui sur ce dernier point).

    Tous les autres usages sont aujourd’hui des Arlésiennes ! Ils font parfois de jolies démonstration dans les salons professionnels ou grand public et devant les caméras de journalistes, mais on ne sait trop rien, à vrai dire, de leur réelle faisabilité technique à grande échelle, au delà de la simple expérience ou démonstration, pour ne pas parler de leur éventuelle rentabilité économique.

    On voit certes venir – petitement – des usages nouveaux et réellement innovants dans les domaines de la télémédecine, de la formation à distance ou du télétravail, mais 1/ tout ça n’est vraiment pas mûr aujourd’hui et pourrait finalement prendre des directions totalement inattendues et donc… imprévisibles pour le moment. 2/ Il n’est pas dit que la fibre optique jusque chez l’habitant soit de la moindre utilité dans ces domaines, quand il pourrait suffire de câbler uniquement les zones d’accueil d’entreprises, les établissements scolaires et les médecins (soit quelques dizaines de milliers de points d’accès au lieu de plusieurs millions, avec la différence faramineuse de coûts qui va avec !).

    Et qu’on ne me parle pas de la visiophonie… Un véritable serpent de mer ! Les écrivains de science-fiction en rêvaient depuis des décennies et maintenant que des millions de Français ont dans la poche un appareil de visiophonie qui fonctionne réellement… personne ne s’en sert effectivement !!

    Qu’on ne me parle pas non plus des démarches administratives en ligne (autre serpent de mer !) : le plus souvent un faible débit suffit très largement à la grande majorité des usages connus à ce jour. Le guichet en ligne avec un fonctionnaire derrière l’écran est un fantasme, quand il s’agit, dans la plupart des cas, de traitement automatisé de données. L’administration a moins besoin de « télé-agents » que de data-centers !

    – De tout cela, on peut tirer la conclusion que la fibre optique dans les campagnes n’est probablement pas loin d’être une très mauvaise réponse à un problème qui, en réalité, ne se pose même pas !

    Ce que réclament en fait les usagers dans les campagnes, car ils en ont un usage réel et que son défaut est devenu un véritable handicap : c’est de la téléphonie mobile partout (en tout cas dans les zones habitées et le long des axes routiers) et pas de la fibre optique à domicile !

    Ironie de cette histoire, c’est probablement la téléphonie mobile qui poussera la fibre optique jusque dans les villages (entre les antennes relais, pour réduire le coût d’implantation de l’infrastructure). Et on en profitera pour brancher la mairie, le collège et la maison médicale, mais probablement jamais l’ensemble des habitations…

    Les réseaux fixes n’ont un avenir que pour des usages très particuliers, limités, et le plus souvent réservés à des professionnels. En zones rurales, installer la fibre optique jusqu’aux chefs-lieux de canton – quand ils ne sont pas DÉJÀ reliés par la fibre au niveau du central de téléphonie fixe – suffira très largement à ces usages.

    Le téléphone mobile, en revanche, c’est une toute autre histoire ! Alors que les urbains ne peuvent déjà plus s’en passer, on voit déjà, aujourd’hui !, que son utilité est encore supérieure en zone rurale, tant son pouvoir de désenclavement est gigantesque. Dans sa capacité à réduire les distances et les délais (espace et temps) et parce qu’elle est attachée à la personne et non à un lieu, la téléphonie mobile (liée directement aux techniques de géolocalisation et de stockage des données « dans les nuages ») est d’ores et déjà une technique de rupture en zone rurale, davantage qu’elle ne peut l’être en ville.
    – Elle remet les habitants ruraux « à niveaux » avec ceux des villes en matière de services (notamment de sécurité) et de confort de vie au quotidien, ce qui 1/ diminue les handicaps du rural par rapport à l’urbain, 2/ maximise la valeur du potentiel rural spécifique en termes de qualité de vie. Ce qui conduit, au bout du compte, à un accroissement de l’attractivité des zones rurales par rapport aux zones urbaines.
    – Elle recèle un potentiel de développement économique nouveau, que l’on mesure mal mais qui est flagrant dans le domaine du tourisme et des loisirs par exemple, ainsi qu’un réel potentiel de développement « sociétal » et politique (par accroissement des possibilités de communication inter-individuelles).

    – Pour finir en revenant directement au thème de votre billet : les politiques publiques en matière de développement numérique des territoires ont TOUTES un train de retard.

    Leur défaut est habituel et récurrent : elles se concentrent sur l’infrastructure (et de préférence une infrastructure ultra-centralisée et « éprouvée », c’est à dire vieille et dépassée), plutôt que de se concentrer sur les usages et la demande réelle qui en est exprimée par les usagers eux-mêmes.

    Or il est manifeste que l’on ne voit guère de mobilisation dans les campagnes pour réclamer de la fibre optique jusqu’au domicile, alors qu’on voit tous les jours, partout en France, les ruraux se mobiliser pour réclamer une amélioration de la couverture, de la fiabilité, et de la concurrence dans le domaine du téléphone mobile.

    On leur répond quoi ? « On ne peut rien y faire, répondent de concert le maire, les présidents des conseils généraux et régionaux et le préfet, car le mobile relève uniquement du secteur privé ». Dans ces conditions, toutes les politiques publiques qui répondent « fibre optique jusque chez l’habitant » aux usagers qui disent « téléphone mobile », reviennent à chercher sous le lampadaire les clés qu’on a perdues, car là, au moins, c’est éclairé !

  8. Merci de votre très riche contribution.

    Une première remarque rapide qui marque je crois un vrai accord entre nous. Vous avez remarqué que dans mes propositions, j’évoquais justement les enjeux autour de l’extension des réseaux fixes via des réseaux radio. La justification de cette suggestion est à chercher justement dans le soucis de donner les moyens de maîtriser, pour tous les publics (national et non national versus abonnement GSM non français), une solution de connectivité, et donc de services mobiles. C’est sur ce domaine que je concentre désormais mes travaux mais non pas seulement à partir des réseaux GSM mais aussi via de solutions Wifi. Dans les zones d’activités ou dans les sites touristiques que je travaille, c’est en effet le moyen de distribuer des solutions de services créatrices de plus-values fortes tant pour l’usager que pour l’économie locale. Donc, comme vous, je crois qu’une partie du succès des réseaux FttX viendra non seulement, comme je l’écris en effet depuis longtemps, des services et de plus en plus de la capacité à distribuer des services mobiles à tous. L’un des enjeux consisterait donc à travailler ces convergences infra / services filaires fixes / maîtrise des moyens de distribution des services nomades au moins publics. Le déploiement et la maîtrise de réseaux Fttx est une des conditions pour cela ; c’est du moins une hypothèse qui mériterait d’être démontrée via de vrais expérimentations de plateforme de services fixes et mobiles locaux. C’est ce que j’essaie de faire en ce moment.

    Je suis comme vous également un peu dubitatif quant au terme « égalité des territoires » mais, égalité, compétitivité ou augmentation des ressources locales, je ne pense pas que ce débat sémantique soit déterminant. Ce qui l’est en revanche serait de réguler les concurrences inutiles entre clochers territoriaux, au moins en matière de plateforme de services. D’où mes suggestions de mutualisation et d’organisation commune. Tout reste à faire en matière de coopérations entre territoires… Raison de plus sans doute d’ailleurs, si l’on tire un peu la ficelle, de défendre encore plus la fin du cumul des mandats. Mais c’est une autre histoire.

    A suivre ?

  9. Les territoires « physiques » ne seront jamais « égaux » et c’est heureux car c’est leur diversité qui fait leur charme…. Encore qu’elle soit quelque peu mise a mal Mais le Numerique est Ine occasion historique de les rendre tous plus attractifs en aidant les citoyens en mal de campagne a les repeupler ! Encore faut-il un accès non discriminatoire donc « égal » aux refais de télécommunications foliaires et mobiles .Les deux sont complémentaires et nécessaires partout sauf a considérer que les ruraux seront des sous citoyens !

  10. Faudrait peut être pas laisser écrire (et dire) que l’absence de politique nationale en la matière est une politique. Nous sommes en présence de quatre tactiques grossières des fournisseurs d’accès qui visent à écumer au maximum l’abonné de base : quatre tactiques ne font pas une stratégie, a fortiori s’il s’agit de tactiques foireuses …

    Le fibrage optique n’est pas une technique chère ; même à l’origine (disons en 1990), le remplacement de la paire de cuivre (et les centraux autocommutateurs qui vont avec) par une paire de FO représentait un investissement qui pouvait être évalué à une valeur de la moitié de celle du réseau autocommuté ; donc qui rentrait largement dans les financements permis par les amortissements comptables légaux. Faut répéter cette évidence jusqu’à ce que le moindre maire qui prononce un discours sache qu’il dit une connerie et que tout le monde le prend pour un con (ceci dit, il a fallu au moins 10 ans de rentre dedans afin d’arriver à un tel résultat pour la solution dégroupage des NRA, à partir d’un raisonnement simple : si le dégroupage est la solution, que ne la mettez-vous pas en oeuvre puisque la loi le permet ? C’est cher : je ne vois pas comment 100 000 prises à 9 €, prix de gros, coûtent plus chers que 100 000 prises à 35 €, prix de détail, que nous consentent nos chers (coûteux) FAI.

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