La présentation, le 13 décembre 2012, par Vincent Peillon, de la stratégie du Gouvernement français pour faire entrer le numérique à l’école augure peut-être d’une vraie rupture méthodologique. Elle préfigure en effet non seulement de l’indispensable modernisation des politiques éducatives mais annonce aussi, peut-être, les changements de méthode indispensables à la future feuille de route publique pour aller vers le monde des réseaux très haut débit de demain. Explications.
Sortir des impasses des tiers de projets numériques actuels
S’il fallait retenir un enseignement de la dizaine d’années de pratiques de terrain comme des dizaines de projets analysés ou de la centaine d’interviews organisés pour écrire, entre 2010 et 2012, « Territoires et numérique, les clés d’une nouvelle croissance », je crois que j’utiliserai cette formule. Les programmes fondés principalement sur l’organisation du déploiement d’infrastructures, sur un territoire souvent unique, ne proposent, au mieux, qu’un tiers de projets de développement numérique ! Rien sur les services ou presque, peu de choses en matière de formation, fort peu encore de coopérations entre réseaux d’initiative publique, aucun véritable contrat entre opérateurs privés et acteurs publics… On ne réussira pas comme cela. L’exploitation des potentialités des réseaux numériques de nouvelle génération oblige en effet à jouer des partitions qui vont bien au-delà à la fois de ses seules dimensions du « BTP numérique » et des actions territoriales ou entrepreneuriales isolées. C’est je crois ce qu’a compris le Ministère de l’Education ; il faut donc non seulement porter cela à son crédit mais surtout s’inspirer de sa méthode.
Retour sur la « méthode Peillon »
Le dossier de presse consacré à ce sujet par le Ministère expose bien les spécificités d’un projet gouvernemental qui succède à pas moins de seize précédents plans numériques. Il revendique plusieurs spécificités qui, organisées au sein d’une stratégie commune, attestent de l’importance des changements en matière de méthode.
- Ce projet est tout d’abord inscrit dans la loi, ou tout au moins dans un projet de loi d’orientation et de programmation sur l’école, qui sera présenté en Conseil des ministres en janvier.
- Il intègre ensuite le déploiement d’un vrai volet « services » à même, par exemple, de compléter les enseignements existants, de faciliter la mise en œuvre d’une aide personnalisée pour les élèves en difficulté ou de faciliter les relations avec les parents. Il comprend d’ailleurs à ce niveau un volet « recherches » pour développer des programmes innovants.
- Il comprend également un véritable plan de formation pour les enseignants et les personnels d’encadrement.
- Le plan associe en outre l’Etat, les Collectivités Territoriales et la Caisse des Dépôts et Consignation pour faire converger leurs moyens en matière d’équipements et de raccordement aux réseaux très haut débit. Il prévoie d’ailleurs à ce niveau la construction, avec l’Union des groupements d’achats publics (UGAP) d’une « offre globale d’équipements et de prestations associées, pensée pour les écoles primaires ; cette offre, disponible au printemps 2013, permettra aux municipalités d’éviter des passations de marchés publics et sera complétée fin 2013 par une proposition d’espace numérique de travail pour les écoles. » Bonne idée !
- Le plan se fonde enfin sur une solution de une gouvernance nationale sur le numérique éducatif qui organisera une instance de dialogue et de coordination associant des représentants de la communauté éducative, des collectivités, de la recherche, les partenaires publics et privés…
Un plan modèle ?
Projet de loi, volet services, moyens mutualisés en matière d’infrastructures et d’équipements, solutions d’achats groupés, soutien aux actions de recherche pour inventer de nouveaux usages numériques, coopérations publiques et privés gouvernance (…) aurait-on enfin l’exemple de la méthode en matière de politique numérique que nous attendons depuis le Plan National Très Haut Débit ? Je le crois. Je le crois d’autant plus que se retrouve dans ce plan la matérialisation de l’une des conclusions des travaux menés entre 2010 et 2012 pour l’ouvrage Territoires et Numérique.
Examiner l’opportunité d’ouvrir une piste alternative à celle du Plan National Très Haut Débit de 2010 ; envisager, en matière d’aménagement numérique des territoires, de nouveaux rôles pour des pouvoirs publics ; étudier de quelles manières les Collectivités Territoriales peuvent participer au lancement de ce nouveau grand projet numérique ou même l’impulser ; telles étaient les principales ambitions de cette dernière partie… A l’issue de ces mois d’enquêtes, une piste semble toutefois non seulement exister mais permettre également, en un peu plus d’une vingtaine d’années, de tenir les objectifs de couverture de l’ensemble du pays en très haut débit. Du point de vue de l’action publique, cette piste passe par trois leviers complémentaires : la loi, la production d’organisations publiques mutualisées et la stimulation de l’offre de services. La loi car le dispositif national actuel en matière d’aménagement numérique actuel non seulement ne suffit pas mais présente en outre de graves faiblesses. La production d’organisations publiques mutualisées car les temps où chaque administration ou chaque territoire pouvaient agir seul est sans le moindre doute dépassé. La stimulation de l’offre de services puisque, d’une part, les modèles économiques du très haut débit resteront durablement fragiles sans migration rapide du cuivre vers l’optique, et puisque, d’autre part, ce programme très haut débit s’affirme aussi comme un indispensable outil de modernisation des services publics et d’économies associées.
J’en ai rêvé, Peillon l’a fait ? Même s’il faudra bien entendu examiner en détail les moyens mobilisés pour réussir, c’est sans doute le premier plan numérique qui va aussi loin dans ses ambitions et dans sa méthode. Bien entendu, le détail des budgets manque encore. Bien sûr, on aurait aimé plus de précisions sur les coopérations en matière de réseaux de nouvelle génération, par exemple entre Renater et les RIP. Mais ne boudons pas notre plaisir, c’est un beau projet !
Au tour de la feuille de route nationale pour le très haut débit ?
On ne pourra donc plus jamais se contenter maintenant d’une feuille de route très haut débit qui ne serait qu’un tiers de projet numérique. Comment en effet conserver l’esprit de ces anciens programmes très haut débit inspirés de logiques et de division de compétences d’un autre âge ? Loi, solutions durables de financement, infrastructures mutualisés, services, soutien aux opérations d’innovation « très haut débit », conventions avec les opérateurs, formations, solidarités nationales pour résorber les fractures numériques territoriales et sociales, et pourquoi pas aussi service universel très haut débit ? C’est cette stratégie globale que l’on attend du Gouvernement au début 2013. Le Ministère de l’Education a montré que c’était possible. Un plus d’efforts interministériels, un vrai pacte Etat – Collectivités, ou, encore par exemple, de vrais contrats entre acteurs publics et privées, et nous serions prés du but.
Un gros tiers, un petit tiers, un bon tiers, et un dernier petit tiers… tout cela n’en aura peut-être que plus d’unité 😉
Je me permets de verser au débat cet article qui souligne a contrario l’erreur majeure que constitue le fait de développer les usages plutôt que l’enseignement du numérique.
Olivier. Mon article d’hier a suscité pas quelques réactions. La plupart pointent les supposées insuffisance du plan Peillon. Je n’ai pas d’avis sur ce point et de toute manière dés que l’on parle éducation, les contestations pleuvent de tout bord. Pas facile de faire avancer ce grand Ministère hyper important…
En revanche, je persiste et signe sur l’intérêt de la méthode. Cet essai de convergence entre infra, services, loi, coopérations avec collectivités, soutiens innovations ou expérimentations est celui que je crois indispensable à toute politique numérique. A cette heure je remarque que personne n’a amené un argument qui m’inclinerait à croire ni ceux qui disent « infra d’abord, services viendront », ni ceux qui pensent « inventions les services ou les usages sans se préoccuper de la maîtrises des ressources infra » et on réussira. En matière de numérique, nous sommes je crois condamné à la coopération et à la convergence ; le tout encadré par des lois à même de fixer les règles du jeu et les solutions de solidarité sans lesquels il n’y a plus d’Etat. C’était le sens de mon article et, dans cette optique, je salue les principes de la méthode Peillon.
Je suis d’accord avec les nécessités que tu soulignes : infrastructures, infostructure, infoculture sont indissociables et doivent procéder du même mouvement. Toute approche qui laisserait supposer que l’une est première par rapport aux autres est certainement vaine. J’ai par contre plus de mal à imaginer que l’Éducation Nationale d’aujourd’hui en tant qu’institution ait les moyens politiques de ses ambitions.
« J’ai par contre plus de mal à imaginer que l’Éducation Nationale d’aujourd’hui en tant qu’institution ait les moyens politiques de ses ambitions. » je te suis sur ce point mais une fois encore telle n’était pas la démonstration que j’esquissais.
Le slide 6 « … et des défis structurels à relever pour permettre ce déploiement des usages » est littéralement jouissif : « Une absence de vision d’ensemble », « Un manque de coordination des acteurs de la filière… »
Rien que la reconnaissance officielle, par les plus hautes instances, de ces deux plus-que-défauts-majeurs est un pas de géant vers l’avenir.