LE PROGRAMME NATIONAL TRES HAUT DEBIT MARQUE-T-IL LA FIN DE L’AMENAGEMENT NUMERIQUE DES TERRITOIRES ?

Beaucoup affirme que l’aménagement numérique, engagé par les Collectivités territoriales depuis plus de dix ans, est à ce jour stoppé par le plan national THD ! Les Collectivités ne peuvent quasiment plus agir. L’Etat n’a pas pris le relais via un modèle comme celui de l’Australie par exemple. Les décisions de l’Etat freineraient l’initiative. Le pays attend. Explications…

Brefs rappels tout d’abord…

La politique de l’Etat français en matière d’aménagement numérique se fonde notamment sur le programme national « très haut débit » et sur l’engagement de fonds du Grand Emprunt rebaptisé  « investissements d’avenir ».  Le Président de la République a d’ailleurs défini, le 9 février dernier, en conclusion des Assises des territoires ruraux, un objectif de couverture de 100% des foyers en 2025.

Budgétairement, le programme est piloté via le Fonds national pour la société numérique (FSN) qui gère les fonds du Grand emprunt. Ce FSN devrait alimenter notamment le Fonds d’aménagement numérique des territoires (FANT) consacré au soutien des Réseaux d’Initiatives Publiques (RIP). Sur les sommes annoncés ( 2Mrds €), un sert de garantie d’emprunts pour le privé (guichet A), 750M€ de subvention pour les collectivités (Guichet B), et  250M€ pour des solutions de montée en débit (Guichet C). Donc au mieux il y a 1Mrds € pour les collectivité pour un besoin public national estimé à 30Mrds €

Dans les textes, la stratégie consiste tout d’abord à préciser le cadre réglementaire, technique et commercial du THD pour, ensuite favoriser les déploiements des exploitants de réseaux dans les zones rentables. Il s’agit du fameux guichet A qui fonctionne surtout via des prêts et des garanties de prêts.

Le Plan dit enfin vouloir soutenir les projets des Collectivités territoriales dans les zones peu ou pas denses. Ce guichet B, censé ouvrir en même temps que le guichet A, doit, selon le texte du Plan, « permettre à la structure nationale de pilotage, avec l’appui des préfets de région, d’identifier les projets s’inscrivant en cohérence avec les déploiements privés... Après décision de l’Etat, les subventions accordées pourraient ensuite être directement versées aux collectivités… L’Etat pourrait ainsi prendre en charge jusqu’à 33% du montant total de la participation financière publique…» Encore faudrait-il que le FANT soit financé… Ce sera l’objet d’une autre article.

Cohérence avec les déploiements privés ou arrêt brutal des initiatives territoriales ?

Le texte du Plan ne souffre pas d’ambiguïté. La subvention ne pourra être attribuée que lorsque les maîtres d’ouvrage établissent «que le seul effort, y compris mutualisé, des opérateurs (…) ne suffira pas à déployer un réseau d’infrastructures de communications électroniques à très haut débit ». Schématiquement, deux cas de figure se présentent :

  1. si les projets des collectivités interviennent sur des zones n’ayant pas fait l’objet d’une manifestation d’intentions par un opérateur privé « l’initiative publique pourra être soutenue, le cas échéant, dans le cadre du programme si le porteur de projet s’est assuré qu’aucun déploiement d’opérateur n’est prévu sur la zone dans les trois prochaines années. ».
  2. Pour les zones ayant préalablement fait l’objet d’une manifestation d’intentions par un opérateur privé :
    1. a. « L’initiative publique ne sera pas soutenue (…) si un projet porté par un opérateur privé est déjà labellisé ou susceptible de l’être rapidement ;
    2. b. Dans le cas où aucun projet ne serait déjà labellisé, les opérateurs ayant manifesté leur intention de couvrir la maille disposeraient d’un délai de 2 mois suite au dépôt d’un dossier par une collectivité pour soumettre leurs projets auprès du guichet A ou s’engager auprès de l’Etat sur un calendrier et un périmètre de déploiement en propre assorti d’un calendrier ; à défaut l’initiative publique pourra être soutenue si le porteur de projet s’est assuré qu’aucun déploiement d’opérateur n’est prévu sur la zone dans les trois prochaines années.
    3. c. Dans le cas d’un dépôt de dossier de labellisation ou d’un projet de déploiement en propre, une concertation de deux mois serait organisée entre porteurs de projets dans le cadre des instances régionales de concertation et/ou de l’élaboration de schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique. Dans le cas où les projets ne seraient pas éligibles à la labellisation ou si l’opérateur ne respecte pas ses engagements de déploiement en propre, l’initiative publique pourrait être soutenue si le porteur de projet s’est assuré qu’aucun déploiement d’opérateur n’est prévu sur la zone dans les trois prochaines années. »

L’économie générale du Plan conduit ainsi à totalement conditionner l’initiative publique territoriale aux intentions des exploitants de réseau.

Les contradictions du programme national très haut débit

Force ce jour est de constater que le plan national THD marque au mieux un arrêt, au pire un retour en arrière pour l’aménagement numérique de notre pays. Les faits sont en effet têtus…

  • Les budgets des investissements d’avenir semblent encore relever plus d’une politique de communication que d’une réalité.
  • Le guichet A ne paraît guère encombré. Le Guichet B traîne.
  • Les Collectivités ne peuvent agir sauf à prendre tout le temps nécessaire, un temps long, à réaliser force SCORAN et SDAN. Elles doivent en outre, d’une part, faire la preuve qu’aucun exploitant privé n’entend intervenir et, d’autre part, s’associer autour de véhicules juridiques communs.
  • Aucune décision n’est prise sur le financement du FANT et sur la mise en œuvre d’une solution de péréquation.
  • Rien n’est clair sur la séparation des infrastructures et des services de France Telecom…

L’aménagement numérique, engagé par les Collectivités territoriales depuis plus de dix ans, paraît ainsi stoppé ! Les Collectivités ne peuvent plus agir. L’Etat n’a pas pris le relais, via un modèle comme celui de l’Australie par exemple. Les opérateurs historiques peuvent à loisir prendre le temps de poursuivre l’exploitation de l’ADSL.Il est en outre surprenant de constater sur l’Etat, via le projet de recommandations de l’ARCEP sur la   montée en débit, organise la modernisation de la boucle locale cuivre en ayant recours massivement à l’argent public des collectivités !

Le pays attend donc… et le contraste entre les enjeux ré affirmés par tous, y compris au plus haut de l’Etat, et la réalité de la situation questionne.

D’un côté, l’Etat affirme à juste titre que le « déploiement des réseaux à très haut débit, notamment en fibre optique, représente un enjeu industriel majeur pour notre pays, un levier pour la compétitivité de nos entreprises et surtout un facteur essentiel d’aménagement de nos territoires et de développement de nouveaux services innovants, tant pour les entreprises que pour les acteurs publics et les citoyens. »

Et de l’autre, pour répondre à ces enjeux, il décide de bloquer l’initiative publique locale sans lui-même s’engager.

Faut-il se résigner ? Les pistes…

Il est surprenant de constater finalement le peu de réactions face à cette contradiction fondamentale du plan national THD. Il faudra notamment demander aux députés de la majorité gouvernementale qui annoncent vouloir prendre la tête de mouvements de projets de développement numérique des zones peu ou pas denses comment ils expliquent cette contradiction. Comment ils l’assument aussi. Cela éclairera le débat et, peut-être, ouvrira quelques perspectives. S’ils entendent vraiment mener le combat, l’urgence est d’amender la loi et de voter le principe d’un service THD universel et d’une péréquation outil de solidarité numérique. Lobbyistes, électeurs, élus territoriaux, citoyens… à vos mails, à vos lettres et à vos interpellations…

Mais dans l’attente de décision de l’Etat, que faire localement ?

On remarquera tout d’abord à quel point les collectivités qui ont lancé des RIP entre 2000 et 2010 ont eu 100 fois raison…  Elles disposent désormais d’un patrimoine public dont la valeur d’usage et de services, dans le contexte actuel, n’a jamais été aussi forte. Si rien ne change, il faudrait en effet attendre de longues années pour voir un NRA de zones blanches dégroupé ou une plaque publique Ftth lancée…

On remarque ensuite deux pistes qui sans doute gagneraient à être rapprochées.

La piste que l’on pourrait nommer « Aquitaine » est intéressante. Cette région se caractérise par des RIP puissants et innovants, celui de Pau Pyrénées, celui des Pyrénées-Atlantiques ou celui de la Gironde par exemple. Elle comprend également des expériences intéressantes, comme celle de Morcenx, nous y reviendrons. Dans ce contexte, l’Aquitaine a mis au point une stratégie de soutien aux investissements publics de préparation de l’arrivée de futurs réseaux fibre optique. Il s’agit d’accompagner les collectivités pour construire des infrastructures passives de télécommunications qui pourront ensuite être intégré dans un réseau. Pose de fourreaux de réserve, mise à profit de toutes opérations de voirie pour déployer des infrastructures passives, compléments de réseaux, enregistrement de ces infrastructures sur un SIG partagé au niveau régional, adoption de règles d’ingénierie communes… Le projet vise à préparer l’avenir, dans le respect du cadre réglementaire, en engageant des investissements publics locaux vraiment  d’avenir… Dans le contexte national actuel, le temps pourrait toutefois sembler long avant que ces travaux ne soient réellement utiles à de futurs exploitants de réseau. La stratégie Aquitaine vise à assurer une cohérence minimale régionale sur les infrastructures d’accueil (fourreaux, chambres, locaux techniques) et d’éviter toute perte d’argent public. Cette stratégie reste compatible avec toutes les autres solutions de passage et d’exploitation de la fibre.

L’autre piste consiste à lancer le mouvement de construction en domaine privé sous l’impulsion de futurs abonnés.  Cette idée défendue  par exemple par Olivier Zablocki, Matthieu Coste ou Pierre Raso consiste à changer de paradigme en commençant les réseaux par le dernier mètre devenu ainsi le premier.

Puisque ni les opérateurs ni les collectivités ne veulent ou ne peuvent nous fournir ce réseau THD, nous allons le construire, le gérer et le maintenir nous-mêmes. Nous y ferons venir des opérateurs qui nous vendront leurs services sur notre infrastructure (ouverte et neutre). Que Orange, Free ou SFR ne viennent pas car nous ne jouons pas avec leurs règles, tant pis pour eux… il y aura bien des OVH, Wibox, E-Tera, Alsatis ou d’autres pour émerger et venir développer leur business là où les « gros » ne veulent pas.

La piste « Aquitaine » et l’idée « Premier mètre » semblent naturellement complémentaires et se renforcent l’une et l’autre. Où pourra-t-on lancer cet indispensable laboratoire ?

6 commentaires sur “LE PROGRAMME NATIONAL TRES HAUT DEBIT MARQUE-T-IL LA FIN DE L’AMENAGEMENT NUMERIQUE DES TERRITOIRES ?

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  1. Proposition de lieu : quelque part en Auvergne, le long de l’A75 Numerique. Tout est là, sous nos yeux.

  2. A mon avis, tu commets une analyse qui prouve incontestablement qu’il existe un blocage politique à tous les niveaux du système politico-administratif français et de la représentation nationale.

    Nous pourrions faire ici un inventaire des situations locales où la distribution du THD pourrait avoir lieu et n’existe pas (NRA fibré, backbone sans sortie) ; l’inventaire aussi des situations où des élus majeurs ont, en même temps, un discours favorable au THD et des NRA non fibrés.

    Il se peut que les révoltes arabes en cours soit l’explication la plus probable du blocage politique que nous constatons.

    Le lobbying de FT (et des autres FAI) ne doit pas rester avec ses pieds dans le même sabot.

  3. Vous avez tous lu le dernier rapport Mackinsey : il me paraît évident que la France ne veut pas faire partie des 4 ou 5 pays leaders dans le développement (je n’ai pas dit croissance) par le potentiel d’internet. Il s’agit d’une volonté politique puissante, à base de pétoche panique, de ne pas sauter le pas vers des terres inconnues ressenties comme extrêmement dangereuses par nos politiciens à un seul neurone, électoral.

  4. Parmi les 3 pistes (Aquitaine, 1er mètre…et parlementaires !) je vais tenter de réfléchir à la piste « parlementaires » mais pour faire quelles propositions au juste ?
    Dans l »immédiat je viens de poster sur le « mur » facebook de Pierre Morel le commentaire ci-dessous

    Pierre Morel dans le « top 20 » des députés « les plus sérieux » http://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-top-20-des-deputes-les-plus-serieux_251118.html
    Il a d’autant plus de mérite que la Lozère n’est pas dotée des moyens de transport modernes dont bénéficient bon nombre de ses collègues …sans parler des « moyens de transport » numériques http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion2891.asp

    Mais il est bien évident que, pour la piste »parlementaires »il faut écrire à TOUS LES PARLEMENTAIRES en leur faisant une DEMANDE CONCRETE et PRECISE ! Laquelle ?

  5. Où pourra-t-on lancer cet indispensable laboratoire ?.

    C’est vrai ça, où ? Vraiment je me demande… Je ferais bien une suggestion en espérant que personne n’ait l’impression que j’insiste lourdement…

    Un démonstrateur pré-industriel est en cours d’aménagement à partir des points d’extraction n°9, 10 et 12 de l’A75 Networks sur les communes de Saint-Germain Lembron (sortie 17 de l’autoroute), Charbonnier-les-Mines (sortie 18) et Lempdes-sur-Allagnon (sortie 20). Le cœur du démonstrateur est une figure dont les 4 sommets sont :

    À 1,1km à l’Est le siège de LBE sur la commune de Charbonnier-les-Mines où est conçu l’échangeur prototype ULIX000 (Universal Local Internet eXchanger) sur l’ancien carreau de la mine du Puits Saint-Alexandre.

    À 2,2km à l’Ouest les Ateliers Bardy sur la commune de Vichel, site d’implantation d’une premier échangeur de série, ULIX001, propriété disposant d’un potentiel important de restructuration et de valorisation et siège d’une future résidence de tourisme* distribuée sur 36 communes dans le « Paysage de Connaissances » environnant.

    À 3,3km au Nord le Magasin Bardy (2500m2 bâtis sur un terrain de 5000m2) sur la commune de Saint-Germain Lembron et à l’entrée du Parc d’Activités des Coustilles dont La Belle Équipe instruit le dossier de labellisation « zone d’activité à très haut débit » grâce à l’installation de l’échangeur ULIX003 et où sera implantée le siège de la « Résidence d’Affaires Distribuée » ODYSSEUS.

    À 4,4 km au Sud l’Hôtel Evan (membre du réseau Inter-Hôtel) sur la commune de Lempdes-sur-Allagnon dont les 28 chambres connectées à très haut débit directement sur le point d’extraction n°12 de l’A75 Networks par le biais de l’échangeur ULIX004 constitueront pour tous les voyageurs de passage sur La Méridienne (Autoroute A75) l’occasion d’une expérience rare en matière de qualité de service réseau pour le nomade.

    suivez ce lien pour rejoindre la carte active en ligne

    Une réunion est organisée par Bruno André, Sous-Préfet d’Issoire en présence de M Jean-Claude GARRET, Chargé de mission au SGAR AUVERGNE, le vendredi 1er avril, à 10 h 15 à la Sous-Préfecture. Je ne manquerai pas de vous en faire le compte-rendu, chers amis, si d’ici là vous n’avez toujours pas trouvé « où » 😉

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