Au détour des lectures, ce graphique du n°247 de Challenges m’a sauté aux yeux. L’article intitulé « Pour l’Etat, voici ce qui légitime sa ponction sur les télécoms » est illustré d’une courbe que je me risque à reproduire ici. Elle met en relation l’évolution des revenus des opérateurs et le montant de leurs investissements. Le texte signale que « le montant des investissements en télécommunications réalisés par les opérateurs en 2009 atteint 5,9 milliards d’euros » selon l’Arcep, « soit une baisse de 9,6% par rapport à 2008. La figure montre clairement à quel point désormais les opérateurs privés de notre pays sont dans une phase que l’on pourrait qualifier d’intense exploitation de la mine du cuivre et de l’ADSL. A quel point également, à cette heure, les investissements d’avenir n’ont jamais aussi bien portés leurs noms… Ils restent à lancer !
Ceux qui estiment que les grands opérateurs, notamment France Telecom, n’investissent plus sur le réseau en regard des recettes générées par le dégroupage trouveront là des arguments utiles. Ceux qui estiment qu’en conséquence, j’en suis, l’Etat pourrait trouver, via une taxe sur l’exploitation du réseau cuivre, l’une des solutions pour financer la solidarité numérique se verront conforter dans leurs convictions. Il ne semble pas qu’il y aurait là matière à altérer significativement l’équation économique de ces opérateurs ; opérateurs qui par ailleurs pourraient trouver dans les nouveaux réseaux fibre optique leurs prochains relais de croissance.
Les tenants d’une péréquation financée pour partie sur l’Adsl seront d’ailleurs d’autant plus prompts à défendre leurs positions que l’actualité récente venant de Bruxelles leur donnera quelques espoirs supplémentaires.
L’Union Européenne juge en effet illégale la taxe imposée aux opérateurs des télécommunications pour financer France Télévisions. Pour rappel, cette taxe s’élève à 0,9% du chiffre d’affaires des opérateurs télécoms. Elle devait en théorie rapporter 370 millions d’euros par an et a été instaurée pour financer la majeure partie du manque à gagner résultant de la suppression de la publicité en soirée sur France Télévisions. Bruxelles a décidé de renvoyer la France devant la Cour de justice européenne sur ce point. Si la cour juge à son tour la taxe illégale, Paris sera alors obligé de modifier sa législation. La France risquerait alors de devoir rembourser aux opérateurs toutes les sommes perçues. En attendant, l’urgence attendue de la part de l’Etat consiste à décider de relancer une vraie solution d’aménagement numérique du territoire. Une proposition de loi a été déposée en ce sens le 19 10 2010. Elle donne un signe et offre peut-être une opportunité. Je demanderai une interview au député Morel pour faire un point sur cette initiative. A nous, dans l’attente peut-être, de suggérer les pistes possibles d’amélioration de ce texte de loi.
N° 2891
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2010.
PROPOSITION DE LOI
tendant à la création d’un fonds d’amortissement
des charges d’installation du très haut débit,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Éric STRAUMANN, Christian MÉNARD, François CORNUT-GENTILLE, Bérengère POLETTI, Marie-Christine DALLOZ, Étienne MOURRUT, Bernard PERRUT, Patrick BALKANY, Michel SORDI, Jean-Claude GUIBAL, Jean-Pierre GRAND, Patrice VERCHÈRE, Dominique CAILLAUD, Yannick FAVENNEC, Yanick PATERNOTTE, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Xavier BRETON, Georges COLOMBIER, Maryse JOISSAINS-MASINI, Jean-Pierre MARCON, Michel VOISIN, Jean-Yves COUSIN, Jean-Claude FLORY, Françoise HOSTALIER, Jean-François CHOSSY, Anne GROMMERCH, Jean-Marie BINETRUY, Jean ROATTA, Alain MARC, Henriette MARTINEZ et Jean-Marie SERMIER,
Mesdames, Messieurs,
Le 31 décembre 1936 a été créé le Fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACÉ), organisme placé sous l’autorité du ministre chargé de l’énergie. Sa mission était d’assumer une part financière dans l’électrification en milieu rural. Enjeu central en terme de modernisation de la production et d’amélioration des conditions de vie et de travail de la population, la progression de l’électrification en zone rurale restait lente pendant la première moitié du XXe siècle. Les coûts d’investissement et d’exploitation étaient importants et bien que le prix de vente de l’électricité ait été plus élevé en zone rurale, les sociétés d’électricité n’étaient pas intéressées par ce marché et ne cherchèrent pas à prendre d’initiative dans ce domaine. La création du FACÉ apporta une réponse appropriée en permettant une aide financière aux collectivités concédantes qui entreprenaient des travaux de développement des réseaux de distribution d’électricité sur le territoire de communes considérées comme rurales. Cette aide est aujourd’hui encore effective.
Le financement du FACÉ se fait par une contribution annuelle des gestionnaires des réseaux publics de distribution en fonction des kilowattheures distribués en basse tension. Le succès du FACÉ peut se lire dans la progression de l’électrification que connut la France après 1936. Il permit une électrification totale des zones habitées même les plus reculées ce qui n’aurait pu être fait par la seule initiative des sociétés d’électricité.
Il y a aujourd’hui un parallèle à faire entre la situation électrique de la France du début du XXe siècle et notre situation en terme de couverture de zones à très haut débit. Une véritable fracture numérique est en train de se créer. Les conséquences sont à la fois nombreuses et dramatiques. L’accès limité aux nouvelles technologies de l’information et de la communication qui résulte de l’absence de très haut débit en France, contribue à rendre notre pays moins compétitif tant au niveau européen que mondial. Par ailleurs, le développement du télétravail, organisation du travail à distance, est limité par l’absence du très haut débit. Enfin la revitalisation des territoires ruraux qui passe par l’installation de nouvelles populations jeunes est complexifiée par la différence de couverture en très haut débit qui existe entre zones rurales et zones urbaines tant dans les domaines économiques, touristiques et sociaux. L’attractivité touristique de ces zones est largement impactée.
Un réseau très haut débit est un accélérateur de développement de l’activité économique, des services aux personnes et un atout pour le développement durable. Il est une condition de la modernisation et du développement de notre système de production de biens et de services.
Les pouvoirs publics doivent donc faire en sorte de limiter les inégalités territoriales en rendant l’accès au très haut débit possible sur l’ensemble du territoire national. Un fonds de péréquation permettrait de mettre fin à cette inégalité de fait en apportant des financements pour le très haut débit. La présente proposition de loi entend reprendre l’initiative en mettant en place un Fonds d’amortissement des charges d’installation du très haut débit. Ce fonds, prenant exemple sur le FACÉ, sera placé sous l’autorité conjointe des ministres chargés de l’Aménagement du territoire et de l’Économie et des Finances. Il devra distribuer une aide financière aux collectivités locales ainsi que leurs établissements publics qui entreprennent des investissements pour équiper leur territoire en très haut débit.
Les estimations avancent le chiffre de trente milliards d’euros pour parvenir à couvrir l’ensemble du territoire national en très haut débit. Un effort national doit avoir lieu sur une période de dix ans. Il faut donc dégager trois milliards d’euros par an. Pour parvenir à trouver ces ressources, le fonds sera alimenté par trois contributions, celle des abonnés, des opérateurs et de l’État. Le fonds sera abondé pour moitié par l’État. Le reste sera financé à hauteur de 20 % par les abonnés Internet et de 30 % par les opérateurs grâce à une contribution exceptionnelle à la fois pour les prestataires mais aussi pour les bénéficiaires d’Internet.
Afin de couvrir l’ensemble de notre territoire, il convient de répartir ces fonds en fonction de la nécessité effective d’aide. En effet, il serait aberrant de distiller des fonds dans les grandes agglomérations alors même que les opérateurs privés investissent déjà pour une couverture en très haut débit. Le fonds a pour objectif de se substituer aux investissements privés lorsqu’ils sont inexistants. Ainsi deux tiers du fond seront attribués aux zones rurales pour qui l’investissement privé en terme de très haut débit est quasi inexistant. Le dernier tiers sera alors dévolu aux zones urbaines et péri urbaines.
La couverture en très haut délit de l’ensemble de nos territoires est un enjeu de premier plan. La mise en œuvre d’un Fonds d’aide comme le propose cette proposition de loi qui aura des moyens réels pour mener à bien sa mission, permettra de répondre au gigantesque défi qu’est la couverture en très haut débit de l’ensemble du pays.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Est créé un Fonds d’amortissement des charges d’installation du très haut débit. Ce fonds est placé sous l’autorité conjointe des ministres chargés de l’aménagement du territoire et de l’économie et des finances.
Article 2
Le Fonds distribue des aides financières aux collectivités locales et à leurs établissements publics qui entreprennent des investissements sur leur territoire afin d’assurer une couverture en très haut débit.
Article 3
Le Fonds est alimenté à hauteur de 30 % par une contribution des opérateurs sur chaque abonnement délivré, de 20 % par une contribution prélevée sur la facture de chaque abonné et de 50 % par une contribution de l’État. Le taux de ces contributions est fixé périodiquement par arrêté du ministre chargé de l’économie numérique et du ministre du budget.
Article 4
Les aides financières délivrées par le Fonds sont consenties pour les deux tiers aux collectivités territoriales rurales et pour un tiers aux collectivités territoriales urbaines et péri-urbaines.
Article 5
Un décret du Conseil d’État fixe la composition et le mode d’organisation du Fonds d’amortissement des charges d’installation du très haut débit.
Article 6
Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 403, 575, 575 A et 991 du code général des impôts.
Jean Pierre, Excellente remarque. Je pense aue l’ARCEP doit regorger d’informations qui permettent de se rendre compte que certains opérateurs exploitent bien la bonne vieille mine de cuivre sur laquelle ils sont assis. Aux US, AT&T investi 39 milliards de dollars pour acheter 10 points de part de marché (T-Mobile) et prendre une position encore plus dominante, mais les 25 milliards de cash qui vont chez Deutsch Telecom pour le deal est autant d’argent qui ne sera pas investi dans l’amélioration du réseau AT&T, alors que ce réseau est le plus mauvais qui soit… Le CEO d’AT&T invoque l’importance du rachat des fréquences de T-Mobile, mais AT&T est déjà assis sur suffisamment de fréquences pour faire le LTE avec les fréquences 700 rachetées à Qualcomm l’année dernière…
Intéressant diagramme : les droits FT et consorts à partage du PIB en leur faveur sont plus élevés que ce que ce que la représentation nationale vient de piquer aux retraités.
Si on pouvait avoir les infos dont tu parles… as tu une idée ? une source ? 🙂
La loi de Pierre MOREL est mal foutue sur deux points logiques ; j’ai échangé avec lui là dessus : il privilégie la possibilité de débat par la représentation nationale (je n’aime pas rentrer dans les tactiques d’élus) :
1/ Un fonds d’amortissement doit être financé par l’entreprise bénéficiaire (sinon c’est une subvention déguisée à une société privée). Dans le cas de FT, sa dotation aux comptes d’amortissement, plus l’autorisation qu’elle a de soutirer aux abonnés le financement d’un fonds de modernisation lui permet de doter un fonds d’amortissement permettant de fibrer la France Rurale à marches forcées. Le plus joyeux du texte de Pierre Morel est que ce sont les abonnés (auxquels FT facture déjà la dotation aux amortissements et la dotation au fonds de modernisation comme un coût du service) qui vont, en plus, abonder le Fonds d’amortissement sans acquérir aucun droit !!!! faut le faire.
2/ L’intérêt opérationnel d’un fonds d’amortissement, c’est qu’il fait passer la maîtrise d’ouvrage (dans ce cas d’espèce) de la boucle locale de FT à la collectivité locale qui demande à être fibrée. Ce qui importe donc, c’est le processus d’actualisation qu’il met en place. Actualiser, c’est répondre à la question : »combien acceptez vous de payer aujourd’hui une équipement qui vaut x € (mutualisé sur l’ensemble du territoire) afin d’en disposer immédiatement ?
A mon avis, une loi sur un fonds d’amortissement doit donc établir (1) le droit absolu à un accès individuel au THD immédiat ; (2) la valeur actualisé de ce droit. Si l’estimation de Silicani est juste (25 milliards) et elle juste mais surévalué, la valeur actualisée d’un accès THD est de l’ordre de 650 €.
Une proposition iconoclaste (quoique) pour le financement du FANT :
– On estime à 30 milliards d’euros les investissements nécessaires pour fibrer 100% du territoire
– Si c’est bien fait (avec une péréquation, l’emploi de différentes techniques, concurrence par les services pas par les infras, etc…) c’est un investissement rentable sur 15 à 20 ans (sans parler des retombées indirectes : emploi, réduction des déplacements, télétravail, etc…)
– Le budget de la défense (2009) est de 32 milliards d’euros. A priori ce n’est pas vraiment rentable financièrement (sauf pour Dassault et quelques autres) mais important stratégiquement
– Imaginons de ponctionner 10% du budget de la défense, soit 3 milliards d’euros pendant 10 ans. On a nos 30 milliards et notre pays fibré… Avec 10% de moins nos militaires devraient encore s’en sortir et on peut même prévoir de réinjecter une partie de la nouvelle « rente fibre » (censée amortir l’investissement) pour racheter quelques Rafale (100 millions la pièce) ou un ou deux porte-avions (3-4 milliards la pièce)…
Non ? Ok je sors
A mon avis, il est plus facile de récupérer les fonds d’amortissement avec lesquels FT a mené la fête spéculative à grande guide que le pognon d’un éventuel Charles de Gaulle II.
Là où le bât blesse, c’est que lorsque FT nous pique 10 milliards, il y en as 2,8 qui se retrouve dans les caisses de l’État : cela fait une bonne prime au fermage de gueule.
Si ça vous dit vous trouverez sur le blog des Webs la lettre que j’ai écrite aux 30 députés signataires de la proposition de loi
http://websdugevaudan.wordpress.com/2011/03/25/fonds-d%e2%80%99amortissement-tres-haut-debit-lettre-ouverte/#comments
J’y dis essentiellement ma déception d’avoir vu la proposition de loi, faute de soutien, « renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire »…c’est à dire aux oubliettes
Je ré insiste sur la nécessité d un débat parlementaire .. que l’on soit d’accord ou non avec la proposition !
Si pas de réponses je fais un courriel à tous les députés cette fois…..sans illusion mais si nous sommes nombreux à leur demander un vrai débat ….ils bougeront peut-etre.?..et pas seulement les députés ! Ne pas oublier les sénateurs dont l’ élection approche !
extraordinaire article, merci beaucoup.