Six points pour comprendre la Proposition de Loi du Sénateur Chaize

Comme nous l’annoncions dans cet article, le Sénateur Patrick Chaize vient de déposer, le 10 Novembre 2017, une Proposition de Loi (PPL) concernant le déploiement du très haut débit en France. Cette initiative cherche à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications. Voici les principales modifications qu’elle suggère d’adopter.

Afin de tenir les engagements de l’État en matière d’aménagement numérique des territoires, la proposition de Patrick Chaize cherche à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit. Elle suggère pour cela de clarifier le cadre de référence actuel. Pour y parvenir, six points nous semblent synthétiser l’esprit de la Proposition de Patrick Chaize :

  1. Réguler la liberté d’établissement d’un réseau THD en fonction des objectifs d’aménagement numérique du territoire national ;
  2. Établir un document de référence précisant les programmes de déploiement THD de tous les opérateurs investisseurs à l’échelle de chaque établissement Public de Coopération intercommunale.
  3. Faire de ces documents programmes des engagements contraignants afin de protéger les citoyens de simples effets d’annonces.
  4. Organiser une Autorité organisatrice du service public de transport de communications électroniques.
  5. Donner plus de pouvoirs aux autorités publiques et à l’Arcep.
  6. Inciter à la migration des réseau cuivre vers la fibre optique.

D’autres propositions concernent les réseaux mobiles. Elles ne sont pas traitées ici mais les lecteurs pourront se référer au document mis en ligne (article 10 et suivants) via le lien proposé en fin de texte.

Réguler la liberté d’établissement d’un réseau THD en fonction des objectifs d’aménagement numérique du territoire

La liberté d’établissement d’un réseau n’est pas absolue ; tel est sans doute l’esprit général autour duquel se construit la Proposition de Loi (PPL) de Patrick Chaize. Le Sénateur de l’Ain suggère en effet d’encadrer cette liberté pour respecter les objectifs d’aménagement numérique des territoires. Rappelons d’ailleurs que la PPL ne fait ainsi que reprendre, en les précisant, les exigences qui figurent dans l’annexe de la directive 2002/21 de la Commission Européenne. On ne peut que se réjouir de voir émerger enfin une pareille tentative tant le cadre actuel montre de plus en plus ses limites et même parfois ses possibles impasses.

Pour y parvenir, la PPL cherche à préciser plusieurs dispositions qui, dans la réglementation actuelle, font problème. Elle suggère tout d’abord de qualifier clairement les projets de déploiements de chaque opérateur investisseur.

Établir un document de référence pour chaque établissement Public de Coopération intercommunale

Pour cela, la PPL prévoit ainsi d’établir un document de référence qui précisera les adresses des raccordements optiques en construction. Cette liste prendrait en compte, d’une part, les lignes que les opérateurs s’engagent à déployer à la suite de consultations formelles et, d’autre part, celles dont l’établissement est soit prévu dans un schéma directeur territorial d’aménagement numérique du territoire, soit déposé dans le cadre du Plan France Très Haut Débit. Elle préciserait également les adresses restant à connecter en fibre optique.

Selon l’article 2 de la Proposition de Loi, ces documents seraient définis à l’échelle de chaque établissement public de coopération intercommunale. Ils seraient validés sous la responsabilité du Ministre chargé des communications électroniques.

Ces documents permettraient notamment de coordonner les initiatives privées et publiques au sein d’un même programme THD local ; ce qui est de fait difficile actuellement. Ils fixeraient aussi un cadre de type programmatique que l’on pourrait clairement présenter aux usagers. C’est, sans le moindre doute, une disposition de nature à faciliter le travail des élus locaux, notamment pour informer les résidents de manière transparente. Ces documents permettraient enfin de vérifier le respect des engagements des opérateurs. Ce cadre contractuel fait en effet étrangement défaut aujourd’hui alors que les dispositions en vigueur leur permettent de quasiment geler toutes autres initiatives dans les zones sur lesquels ils ont fait connaître leur volonté d’investir. Par tous ces aspects, la « PPL Chaize » pourrait donc faire œuvre extrêmement utile.

Donner plus de pouvoirs pour les autorités publiques et pour l’Arcep

Dans l’hypothèse où un opérateur ne se serait pas conformé à ses engagements, l’article 5 instaure une sanction pécuniaire. Celle-ci serait prononcée par l’ARCEP, après une mise en demeure portant sur le respect d’obligations de déploiement résultant des engagements pris.

La PPL propose de fixer ces sanctions en fonction de la gravité des manquements. Elle serait appréciée notamment en regard du nombre de locaux non raccordables ou de zones arrière de points de mutualisation sans complétude de déploiement. Les sanctions seraient toutefois plafonnées et ne pourraient pas excéder 1 500 € par local non raccordable ou 450 000 € par zone arrière de points de mutualisation sans complétude de déploiement.

Créer une autorité organisatrice du service public de transport de communications électroniques

Un second élément clé de la Proposition de Loi passe par l’organisation d’une « Autorité organisatrice du service public de transport de communications électroniques ». Ce serait à elle d’établir le document de référence mentionné précédemment pour chaque intercommunalité. A quelle échelle sera organisée cette Autorité ? Sous quelle responsabilité ? Région ? Département ? Intercommunalités ? Autres ? Quelle seront les modalités de coopérations entre les Opérateurs et l’Autorité organisatrice ? Comment sera piloté le suivi des déploiements dans la durée ? Ces questions  restent ouvertes. Ce sont pourtant des points importants. On pourrait par exemple profiter de la création de ces Autorités Organisatrices pour  mettre en place une cellule de gestion numérique inter-collectivités, avec l’État, qui préfigurerait d’une future subsidiarité digitale.

L’article 6 propose un cadre général de compétences de ces autorités organisatrices. Il leur accorde notamment la faculté de conditionner la délivrance d’une permission de voirie à une demande d’accès aux lignes de communications à très haut débit en fibre optique existantes ou en projet. La PPL avance à ce sujet la disposition suivante. « Lorsque le droit de passage de l’opérateur peut être assuré par l’utilisation d’installations existantes ou projetées dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d’une occupation autorisée et que cette utilisation ne compromettrait pas la mission propre de service public du gestionnaire de ces installations, l’autorité mentionnée au troisième alinéa peut subordonner la délivrance de la permission de voirie à une demande raisonnable d’accès à ces installations dans les conditions prévues par l’article L. 34-8-2-1. » En clair, s’il existe une infrastructure, par exemple celle d’un Réseau d’Initiative Publique, qui peut accorder un droit de passage à l’opérateur demandeur dans des conditions raisonnables, ledit opérateur sera invité à ne pas dupliquer les infrastructures THD et à devenir client du RIP. La puissance publique aurait donc ainsi les moyens nécessaires pour réguler les initiatives et encourager à la mutualisation.

Ce même article prévoit également « un dispositif de protection des réseaux projetés nécessitant une occupation du domaine public routier lorsqu’il apparaît techniquement impossible d’accueillir un nouvel opérateur sur la partie du domaine public concernée. » Dans cette hypothèse, l’autorité compétente ne pourra pas accorder une nouvelle permission de voirie s’il est constaté par l’ARCEP que l’opérateur demandeur a manqué à ses obligations.

Inciter à utiliser les infrastructures des vieux réseaux cuivre pour le Très Haut Débit

Cet encouragement aux actions de mutualisation se retrouve d’ailleurs dans le chapitre IV de la PPL consacré aux «services publics locaux de transport de communications électroniques». L’article 8 incite ainsi au remplacement du cuivre par la fibre en ouvrant, pendant dix ans, aux opérateurs qui interviennent dans un territoire disposant du statut de « zone fibrée » le droit de demander à la collectivité territoriale concernée de leur racheter les fourreaux susceptibles de donner lieu à des activités de génie civil. La collectivité pourra refuser de faire droit à cette demande sans toutefois se fonder sur le prix demandé si celui-ci apparaît raisonnable au regard notamment de l’état des infrastructures concernées et de l’utilité qu’elles pourraient présenter pour elle.

Une proposition de loi synonyme de possibles avancées importantes

Au final, la proposition du Sénateur Chaize, si elle était examinée et validée, représenterait une avancée importante. Elle permettrait en effet d’actionner des leviers qui font actuellement cruellement défaut à la fois pour accélérer dans les programmes d’aménagement numérique des territoires et pour mutualiser les investissements comme les énergies publiques et privées.

On regrettera toutefois à ce stade au moins deux faiblesses :

  1. La première concerne le flou qui demeure encore quant aux responsabilités des différentes Collectivités territoriales concernées par les Autorités Organisatrices.
  2. La seconde porte sur l’absence de toute disposition à même d’inciter les communes à lancer un plan d’adressage pour les voies ne disposant pas d’adresses numérotées et localisées indispensables aux Systèmes d’Information THD.

Souhaitons donc que cette PPL soit effectivement examinée par les parlementaires et que les débats alors stimulés permettent de préciser ce qui doit l’être sans dénaturer l’esprit de la proposition.

Le texte de la PPL est proposé ci-dessous

PPL_numérique V 4.0

3 commentaires sur “Six points pour comprendre la Proposition de Loi du Sénateur Chaize

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  1. La proposition de loi du sénateur Chaize découle très logiquement des difficultés rencontrées par le département de l’Ain pour créer son réseau départemental ; et la vacherie de France Télécom afin d’interdire les shunts qu’avait trouvé le maître d’ouvrage du département. Certes le projet du département était le plus intelligent du marché national avec un gros bémol : il repose sur l’idée que se font nos élites locales sur le potentiel du net, du web et de la technique numérique … idée qui est un peu le mix de grosses foutaises et de l’ignorances. Or la véritable potentiel de la technique en la matière ne peut être mis en œuvre de manière efficiente que par les membres de la boucle locale, qu’elle comporte 32 prises ou 300. Pour avoir oublié cette vérité première, la loi d’Axel LEMAIRE a tapé à côté de la plaque.
    Il me semble que le directeur de l’établissement du réseau départemental de l’Ain a été élu député … la confrontation entre le Sénat et l’Assemblée Nationale promet d’être fructueuse.
    Il est assez rigolo que la PPL prévoit la mutualisation des fourreaux, mais pas la mutualisation de la bande passante au niveau des sous-répartiteurs ; mesure à coût égal à pétoule, mais qui permettrait de faire accéder les 20 millions d’abonnés du fixe au haut-débit en quelques coups de cuillère à pot. D’autant plus rigolo que c’est mon maire qui a bloqué la mise en place des fourreaux nécessaires lorsque EDF a obtenu l’autorisation de voirie afin de rénover sa ligne souterraine qui fuyait de tous les côtés ; la loi prévoit que le maire a compétence pour exiger en la matière que l’autorisation de voirie permette d’intervenir sur tous les réseaux enfouis dont ceux des habitants riverains ; mais qu’il puisse s »opposer à ces interventions.

  2. … mais pas qu’il puisse s’opposer à ces interventions …

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