Après Ruralitic 2011, après l’Avicca et d’autres, ce nouvel appel de Valence « pour réussir l’aménagement numérique de tous les territoires » marque peut-être un tournant dans la stratégie des Collectivités Territoriales. Après le temps des débats et de la contestation du Plan National Très Haut Débit, après les premières propositions législatives, Valence augure-t-il d’un moment d’organisation collective et d’élargissements des champs d’intervention publique ? L’avenir le dira ; d’évidence pourtant tout milite pour que les coopérations entre RIP et entre acteurs publics et privés prennent désormais des tournures plus pragmatiques.
L’appel de Valence confirme tout d’abord la maturité numérique collective grandissante des territoires. Bien entendu, depuis le début des années 2000, les Collectivités Territoriales ont largement démontré leurs compétences « individuelles » d’aménagement numérique des territoires. Les 50 départements couverts par un Schéma directeur territorial d’aménagement numérique et les 138 RIP lancés le démontrent. Dans un monde en réseau, ces initiatives demeurent pourtant pour l’essentiel gérées de manière « territoriale », c’est-à-dire collectivité par collectivité. Aucune offre de parc de prises de dimension nationale, peu ou pas de projets de mutualisation, ou encore par exemple un réseau de collecte national public encore balbutiant ; le quotidien de ces programmes montre de plus en plus les limites de ce seul type de périmètre d’intervention. L’appel de Valence augure-t-il d’un virage ? Annonce-t-il l’esquisse d’une organisation collective à la mesure des défis et des attentes ? La cinquième proposition des signataires de cet appel le laisse à penser. Si cela était confirmé, ce serait là sans nul doute l’un des changements les plus structurants de ces dernières années.
Une plate-forme commune entre les RIP, LE levier structurant
L’appel de Valence suggère en effet de « créer les conditions d’une plateforme de commercialisation de l’offre de prises publiques ». Les signataires suggèrent de lancer une « réflexion » afin de créer les conditions d’une plateforme de commercialisation de l’offre de prises publiques. « L’objectif est d’atteindre un volume critique de marché accessible aux opérateurs commerciaux. » Il s’agirait de se donner les moyens de construire des rapports de force plus favorables dans les négociations. « Soucieuses de rester dans leur rôle d’opérateur d’opérateurs, les collectivités doivent peser dans la définition du modèle technico-économique national de déploiement de la fibre, d’égal à égal avec les grands opérateurs de services, et proposer un modèle dynamique plus ouvert aux opérateurs nouveaux entrants, bâti sur des offres activées. Cette démarche soit s’appuyer sur les associations de collectivités agissant dans le domaine. »
L’organisation de cette organisation commune entre territoires serait sans aucun doute le changement le plus déterminant de ces dernières années. Elle marquerait en effet la fin d’une politique numérique dominée par les opérateurs privé au profit d’un aménagement numérique organisé sur la base de véritables partenariats publics et privés ; des partenariats négociés entre deux types d’acteur de forces plus équivalentes.
Pour un Canal Services Publics du XXIè siècle
Nous avons largement exploré cette voie dans l’ouvrage à paraître « Numérique et Territoires ». L’une des solutions examinées dans ce livre porte en effet sur le lancement d’un programme à minima inter-Rip – Etat baptisé du nom de code provisoire de CSP21 pour « Canal Services Publics du XXIè siècle ». La première mission de CSP21 viserait justement à consolider et à promouvoir les investissements publics en matière de réseau de nouvelle génération. Il est en effet surprenant de constater à quels points, y compris parfois dans les choix télécom des organismes publics, les patrimoines réseaux optiques des Collectivités Territoriales restent mal connus et finalement peu utilisés. Ils souffrent sans doute du poids des habitudes et de l’absence de solutions de dimension nationale. L’un des premiers intérêts d’une solution de type CSP 21 serait donc de créer un catalogue national de solutions et d’assurer une continuité de services nationale via la constitution d’un « réseau de réseaux locaux ». Il faudrait toutefois pour cela que CSP 21 :
- assure ou facilite l’interconnexion de tous les réseaux d’initiative publique et, à travers eux, de tous les bâtiments publics ;
- développe un cadre d’exploitation interopérable permettant ainsi une continuité de services publics via un catalogue de solutions unifiées ;
- mutualise les solutions nécessaires à la qualité du service rendu, par exemple en matière de réseaux de collecte, de datacentre, de sécurisation et d’échanges, voire de GIX;
- dote les acteurs publics d’un levier de péréquation interne, à même notamment de permettre le raccordement de tous les bâtiments publics.
La seconde mission de CSP21 serait commerciale. Via ce catalogue de solutions, elle consisterait à promouvoir les patrimoines télécom et les investissements télécom publics en assurant leur promotion et la vente de leurs offres infrastructures et réseaux. CSP21 vendrait ce parc de prises très haut débit national aux acteurs publics et à leurs partenaires. CSP21 serait pour cela soit client des opérateurs de réseaux publics, soit co-investisseur avec les Réseaux d’Initiative Publique ou avec les opérateurs privés afin de financer une partie des travaux de construction. CSP21 jouerait ainsi le rôle d’une structure de commercialisation mutualisée à même de représenter et faire valoir les patrimoines télécom publics face à leurs prospects privés et publics.
La troisième mission de CSP21 aurait trait aux impératifs de simplification et d’innovation en matière de services publics. Elle viserait à :
- accompagner les pouvoirs publics dans leurs efforts dans ces domaines ;
- impulser la création de programmes de formation pour les collaborateurs des organisations publiques concernées, en lien avec les établissements déjà impliqués en formation initiale ou en formation continue.
Afin de concilier services en ligne, proximité et conseils aux usagers, CSP21 pourrait d’ailleurs aussi collaborer avec les Collectivités Territoriales et leurs partenaires pour développer un réseau de centres physiques mutualisés, du type Relais de Services Publics, maisons de santé ou Espaces Publics Numériques, répartis sur tout le territoire.
Le programme CSP21 offrirait en outre un levier à même de favoriser l’arrivée progressive de nouveaux fournisseurs de services. Nous avons eu maintes fois l’occasion de rappeler le rôle clé joué par l’arrivée de nouveaux acteurs, comme Free, dans le marché haut débit. Il s’agit désormais de favoriser ce même type de concurrence dans le très haut débit par-delà les solutions de type triple play. Le maintien d’une offre de type « prises allumées » pour des motifs de service public va dans ce sens. Elle réduit la hauteur du mur d’investissement à franchir pour rentrer dans le marché et laisse donc plus de possibilités aux acteurs alternatifs.
A l’instar d’une solution comme celle déployée par le Groupement d’Intérêt Public RENATER, CSP21 assurerait donc une mission de service public en utilisant les infrastructures le plus souvent construites et entretenues par d’autres opérateurs publics ou privés. RENATER pourrait d’ailleurs être l’un des partenaires naturels de ce programme. C’est aussi une option que nous examinons dans l’ouvrage à paraître dés le mois d’août.
Après les appels, les actions collectives ?
L’appel de Valence semble de fait élargir le champs d’actions numériques des Collectivités Territoriales dans quelques-unes de ces directions. Il pourrait bien ainsi marquer la première pierre d’un chemin de coopérations, tant publiques que publiques et privées, à la mesure à la fois des contraintes financières, des potentialités de ces nouveaux réseaux et des enjeux d’aménagement de tous les territoires. En ce sens, il marque bien un véritable changement dans les perspectives d’aménagement numérique des territoires.
La piste esquissée se révèle toutefois exigeante et réclame des changements considérables dans les habitudes de travail des pouvoirs publics. Elle demande de s’inscrire dans la durée qui sied à ce type de projet, notamment en dépassant les calendriers électoraux. Ce n’est pas facile. Elle invite également à agir en coopération et à mutualiser des moyens et des compétences, tant d’ailleurs entre Collectivités Territoriales qu’entre réseaux d’initiative publique ou entre acteurs publics et privés. Ce n’est pas non plus une démarche simple. Elle suppose enfin que les pouvoirs publics deviennent aussi, par-delà leurs rôles en matière de déploiement d’infrastructures très haut débit, de véritables opérateurs de services publics associés au sein d’un programmes coopératifs entre RIP. Nous présentons quelques pistes dans ces domaines dans l’ouvrage à paraître.
Les appels se multiplient depuis 1 an mais malheureusement on n’avance toujours pas beaucoup et pour être honnête, on peut s’interroger sur l’impact réel de ces appels. Il manque aujourd’hui un acteur qui fédère toutes les bonnes volontés et qui jouent un rôle actif de lobbing. Si cet acteur n’existe pas, alors créons-le ! On ne peut plus perdre de temps, il faut désormais passer à l’acte et secouer énergiquement le cocotier sans quoi on va continuer à se réunir à l’occasion d’un énième colloque pour refaire le monde avec de belles paroles mais sans action concrète à la clé. En outre, il faut être honnête jusqu’au bout dans ces convictions et ne pas décrier un jour le PNTHD et le lendemain jouer aux bons petits soldats en présentant un dossier au FSN. En agissant ainsi on ne fait que cautionner le PNTHD.
On entend depuis plusieurs semaines que le changement c’est maintenant. En matière d’aménagement numérique ce changement est INDISPENSABLE, c’est l’avenir de la France qui est en jeu. Place à l’action !
C’est le sens de mon papier Patrick. LA question à se poser consiste toutefois à se demander qui est en position de pouvoir créer cet indispensable collectif. Un groupe de Collectivités ? Peut-être mais alors « animé » par un tiers indépendant de toute forme de tactiques de domination et de positionnement. L’Etat ? Ce serait la logique mais j’attends toujours et encore un signe en matière d’aménagement numérique. Un vrai signe tout court d’ailleurs dans ces domaines et au-delà des indispensables mesures d’économie budgétaire. A quand un programme de création de programmes publics créateur d’avenir ? Qu’il est long le temps de la mise en place… Un groupe organisé par les délégataires, des FAI et des experts ? La société civile, c’est-à-dire un « nous » à organiser ?
@Patrick, @Jean-Pierre : je réflechis depuis quelque temps à l’utilisation de la plateforme KickStarter (ou tout autre équivalent tricolore de qualité offrant la même qualité de service et expérience-utilisateur) pour le financement de la structure qui est nécessaire au lancement des premières véritables initiatives concrètes – je ne parle pas d’un « fibercamp » à la sauce Barn Raising qui serait limité à un seul endroit et donc voué à l’échec, je parle d’un vrai plan à l’échelle nationale (aka un opérateur…).
En effet, sur ce type de plateforme de micro-investissement, seuls ceux qui sont interessés par la réussite du projet investissent. Donc, les premiers beta-testeurs, utilisateurs, et clients sont déjà là, avec pour objectif de rentrer dans leurs billes.
LA question est : pourquoi quelqu’un investisserait-il/elle dans un projet #THD tel que celui dont nous parlons ici ?
Si NOUS trouvons la réponse à cette question, alors nous aurons trouvé LE modèle que nous cherchons depuis si longtemps.
Je sais que le camarade Olivier Zablocki a, de son côté, suffisamment défriché les terrains au nord et au sud de la Loire pour avoir quelques idées TRES solides sur le sujet.
Nous DEVONS créer une vraie structure, sur un modèle pourquoi pas coopératif, qui devra disposer de moyens humains et de ressources financières conséquents, afin de pouvoir lancer 2 ou 3 projets immédiatement, sur l’ensemble du territoire national.
A votre disposition, autour d’une garbure ?…
Pour la Garbure je suis partant 🙂 Pour la coopérative sans doute aussi mais le chemin sera long. Raison de plus pour prendre la route au plus vite me diras-tu … Ce n’est pas faux. Cela te coutera une garbure à Tardets, haut lieu s’il en est du numérique zone blanche et services publics à consolider.
J’ai du mal a voir: l’AVICCA existe déjà , « L’appel des 7 » a été fait par un groupe de des collectivités… Et pourtant, on peux considérer, comme le précise Patrick, que les actions & communiqués de ces structures sont toujours religieusement écoutées par l’état et l’ARCEP, bien documentés dans les « appels à commentaires » dont les réponses sont bien consignées sur le site de l’ARCEP…. puis royalement ignorés quand il s’agit de faire des lois et des recommandations.
Les FAI aujourd’hui sont divisés en deux « camps » qui ne se parlent quasiment pas : Les nationaux, historiques, qui cherchent essentiellement à camper sur la rente du cuivre, et sont prêt à faire quelques concessions tant qu’on continue à payer nos 8€/mois/ligne à FT , tel que le VDSL. Et les autres FAI hétéroclites, qui regroupent à eux tous une poignée d’irréductible de l’ADSL, et qui essaient de faire bouger les choses comme ils peuvent et sont plus ouverts aux discussions (j’espère juste que ce n’est pas une façon d’essayer de devenir calife à la place du calife).
Pour moi, tant que les collectivités locales suivront le PNTHD actuel, elle vont simplement claquer le fric des impôts de de leurs administrés pour le donner à FT principalement (et à d’autre un peu) et dans 25 ans on en sera au même point que maitnenant, avec quelques chanceux en VDSL et le reste en « technologie alternatives », et une fracture numérique encore plus grande entre ville et campagne, mais aussi entre la France et certains pays très avancés en matière de FTTH, et qui, eux, seront les inventeurs de solutions de demain alors que nous, nous seront durablement condamné à une position moyenne dans le gros du peloton (Après, c’est peut-être cela que l’on veux, à la tête du pays, je ne sais pas).
Pour moi, je n’en démord pas, l’initiative DOIS venir d’en bas, des citoyens & des mairies, sans attendre le « bon vouloir » et le calendrier d’Orange, et donc sans se mettre dans une position d’infériorité et d’attente vis à vis des opérateurs privés, encore moins si ils sont gros & nationaux et que leurs intérêts ne convergent pas avec ceux des populations.
Après il est clair que c’est plus facile à dire qu’à faire.
Déjà Olivier Zablocki a défriché l’une des solutions possibles, il en existe sans doute d’autre, l’important étant d’utiliser le domaine public et privé au mieux des intérêt immédiat des habitants et non à ceux des opérateurs nationaux.
(Je ne dis pas qu’Orange ne dois pas venir SI il le veulent sur une zone. Ce que je dis c’est qu’une telle zone dois pouvoir s’organiser elle-même si Orange ne viens pas (cas de 99% du territoire géographique actuellement) et, contraintement au cadre actuel, ne PAS permettre à des FAI de « re-monopoliser » des territoires géographiques comme bon leur semble, sur simple déclaration, sans engagement)
La « confiance absolue » dans les opérateurs a été à la naissance des RIP pour prendre le relais dans les zones où les opérateurs nationaux ne venaient pas malgré leurs promeses, et aux USA on constate actuellement avec les câblo-opérateurs les conséquences d’une distribution géographique des opérateurs.
D’autre part, et c’est *important*: Il est absolument URGENT de casser le marché « professionnel » sur les prix des liaison fibres: Les prix sont complètement délirants et déconnectés de la réalité des coûts, et tirés essentiellement par ce que les clients les plus riches sont en mesure de payer, laissant la très grande majorité des PME sur le carreau.
Je rajoute à cet article ce lien et cette reproduction de texte publié le 05/07/2012 qui sans doute matérialise les propositions issues de Valence sous un jour particulièrement structurant. http://www.lagazettedescommunes.com/121536/tres-haut-debit-les-elus-locaux-reclament-un-etablissement-public-national/
Très haut débit : les élus locaux réclament un Etablissement public national
Les collectivités locales, réunies au sein de la FNCCR, ont proposé jeudi 5 juillet 2012 la création d’un Etablissement public national pour « coordonner efficacement les efforts » des différents acteurs engagés dans le déploiement de l’internet très haut débit, qui « patine » selon elles. « Le chantier du très haut débit patine », a déploré dans un communiqué la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), association qui regroupe plus de 500 collectivités territoriales et établissements publics spécialisés dans les services publics d’électricité, de gaz, d’eau, de communications électroniques, etc. Elle estime notamment que le programme national très haut débit (THD) « ne tient pas compte de l’avis des collectivités territoriales ».
« Celles-ci doivent aujourd’hui construire des réseaux THD dans les zones les moins denses en population et donc les plus coûteuses. Relevant d’un certain bon sens, l’idée de confier aux opérateurs les principales agglomérations a malheureusement bloqué la péréquation départementale si utile pour couvrir l’ensemble du territoire », déplore la FNCCR. « Un Etablissement public national associant l’Etat, les collectivités territoriales et les opérateurs est aujourd’hui le moyen le plus approprié pour coordonner efficacement les efforts de tous les acteurs au service d’un projet d’infrastructure indispensable au développement du pays », résume la Fédération.
Agence nationale de péréquation – Elle propose la création de « l’Agence nationale de péréquation des réseaux de communications électroniques », qui gèrerait le Fonds d’aménagement numérique du territoire (FANT), élaborerait des préconisations et référentiels techniques, et vérifierait sur le territoire la présence et l’interconnexion des réseaux de collecte sur tous les territoires.
La FNCCR indique qu’elle va proposer dans les prochaines semaines « des dispositions législatives pour bâtir cet outil indispensable pour l’aménagement du territoire, mais également améliorer l’actuel dispositif du plan national très haut débit ».
Je rabâche sans doute, mais… cette panne inédite du réseau Mobile Orange prouve si besoin est que nous ne pouvons pas confier nos destinées numériques aux seuls opérateurs privés.
Imaginons : ma Mamie de Lozère est victime d’un gros orage. Sa Freebox V6 saute, entrée ADSL hors-service. Elle passe alors en tethering 3G via son smartphone, afin de pouvoir continuer à bénéficier de son assistance médicale à domicile (aka e-Santé) en attendant le swap de sa box ADSL. Manque de pot : son opérateur Mobile est lui aussi victime d’un gros pet, qui rend son réseau indisponible sur la région. On fait quoi, pour ma Mamie, sachant qu’il n’y a plus de toubib dans le coin et que le plus proche est injoignable car lui aussi chez l’opérateur en question ?…
@Obinou : 100% en phase. L’initiative doit être 1) collective, 2) menée par des professionnels, 3) financée par eux-mêmes et leurs clients/utilisateurs. C’est pourquoi je bosse sur l’idée d’un projet Kickstarter…