Un pas en avant mais le pied encore un peu en l’air… Ainsi peut sans doute se résumer le Titre III du projet de loi République Numérique transmis au Sénat le 26 janvier 2016. Un pas en avant parce qu’il parle enfin de « stratégie de développement des usages et services numériques ». Mais le pied encore en l’air car il ne dit rien, d’une part, des modalités de conception de ladite stratégie et, d’autre part, des modalités de coopération entre Collectivités territoriales, sans parler des partenaires privés, pour concevoir et pour mettre en œuvre ces stratégies. Dans ce moment donc de déséquilibre, le Sénat trouvera-t-il les moyens d’un équilibre numérique territorial de plus en plus nécessaire à la République ?
L’article 1425-3 du projet de loi République Numérique issu des débats à l’Assemblée Nationale donne la possibilité aux conseils départementaux, aux conseils régionaux et aux syndicats mixtes mentionnés à l’article L. 5721-9, d’établir une stratégie de développement des usages et services numériques sur leur territoire. Cette stratégie, présentée comme un volet du schéma directeur territorial d’aménagement numérique, vise à favoriser l’équilibre de l’offre de services numériques sur le territoire ainsi que la mise en place de ressources mutualisées, publiques et privées. L’Etat avance ainsi, enfin, sur le chemin de véritables projets numériques locaux associant investissements réseaux et projets de services. Il fait également un pas en direction d’un traitement numérique des inégalités territoriales. Il faut s’en réjouir.
Le projet de loi reste toutefois encore pénalisé par son manque de précision quant aux modalités de conception et de mise en oeuvre de ces stratégies de services. Il oublie en particulier de clarifier la répartition des compétences numériques entre acteurs publics locaux. Or, sans cette subsidiarité numérique souvent réclamée dans numericuss, le mille-feuille territorial français pourrait bien nous rester sur nos pauvres E-estomacs pourtant déjà épuisés de toutes les couleuvres avalées via les mesures d’un plan THD quasi délégué aux grands opérateurs. Les lacunes du projet de loi demeurent en effet nombreuses. Quelques exemples.
Une mise en oeuvre en mode big is beautiful ?
En matière de mise en œuvre, il oublie tout d’abord les communes et les EPCI pour ne reconnaître un rôle potentiel qu’aux pôles métropolitains. C’est ce que confirme ce passage du texte de loi : « les conseils départementaux ou les conseils régionaux peuvent déléguer la mise en oeuvre du schéma directeur territorial d’aménagement numérique à un pôle métropolitain. Dans ce cas, les opérateurs ont l’obligation d’une couverture équilibrée entre les territoires urbains, périurbains et ruraux. » Les communes et EPCI associés n’exerceraient-ils pas des compétences que l’on pourrait efficacement moderniser via les solutions en ligne ? Etrange… De même, comment expliquer que les zones de revitalisation rurale et, plus encore, les pôles d’équilibre territoriaux et ruraux, créés par la loi du 27 janvier 2014, ne soient pas mentionnés ? N’y-aurait-il pas aussi dans les espaces ruraux des capacités numériques ?
Sans le dire clairement, le projet de loi aurait-il fait le choix, du « big is beautiful » ? Aux régions et aux départements, voire aux pôles métropolitains, la responsabilité de mettre en œuvre ces volets ! Aux collectivités infra-départementales non métropolitaines, le droit d’attendre ou de regarder le spectacle… Il sera intéressant de voir de quelles manières le Sénat traite cette vision quasi bipolaire d’une République Numérique scindée entre des grands acteurs publics numériques compétents et des territoires, si ce n’est jugés peu capables, mais tout au moins oubliés.
Des politiques numériques recentralisées et trop résumées à des questions techniques
Cette conception verticale, voire même recentralisée, des politiques numériques transparaît peut-être plus encore dans l’absence de précisions quant aux modalités de conception des stratégies évoquées. Comme si la fabrication des territoires numériques pouvait se faire sans les organisations de proximité, sans les acteurs locaux, sans les usagers. Comme si tout ne commençait pas par la formation, par l’échange autour de scénarii numériques à examiner avec ceux qui le souhaitent, et parmi eux les élus de proximité, puis par l’expérimentation.
Le projet de loi République numérique reste trop silencieux sur ces sujets capitaux. Sans doute d’ailleurs est-ce la plus grave des lacunes du titre III nommé « L’accès au Numérique ». Cela montre aussi tout le chemin encore à parcourir par ceux qui croient, encore, que le numérique est juste un support, voire un problème, technique. Disruptions, collaborations en pair à pair, nouveaux pouvoirs des internautes, ou encore, par exemple, implications locales des oligopoles en mode GAFA, ne réclament-ils pas des interactions réinventées entre élus et usagers ou entre collectivités territoriales ? Nous sommes visiblement de plus en plus nombreux à le penser.
Le schéma directeur territorial d’aménagement numérique, dont il est question dans le projet de loi, représente-t-il un moyen d’avancer dans ces directions ? Tel qu’expédié dans le texte actuel, c’est peu probable. Il limite le débat à une bien trop vague « concertation pour recueillir les observations du conseil économique, social et environnemental régional, des conseils de développement concernés et du public ». Dans une version complètement revue, cela semble en revanche possible.
Attendre et discourir encore ou agir enfin ?
Le 13 octobre 2014, voici donc 18 mois déjà, l’Agence Régionale de Développement des Territoires d’Auvergne (ARDTA) organisait, comme elle le fait régulièrement, une séance de formation des élus et des services des pays, communes et EPCI de la Région consacrée au numérique. A l’issue de cette intense journée, le formateur épuisé que j’étais ce jour là tentait déjà d’expliquer pourquoi il faudrait essayer d’avancer autrement.
Depuis, nombre d’expérimentations de proximité ont été lancées. Elles confirment bien qu’un numérique compris et pour partie maîtrisé localement offre potentiellement un puissant vecteur de refondation politique, sociale, environnementale ou économique. Comme le rappelait Edgard Morin voici peu, le temps est en effet venu de changer de civilisation. Mais cette refondation, c’est aussi l’affaire de ceux qui sont de fait oubliés du projet de loi République Numérique. Commençons donc par réparer cette erreur.
Ah! qu’en termes galants ces choses-là sont mises !
L’espoir, il est vrai, nous soulage,
Et nous berce un temps notre ennui;
Mais, Marianne, le triste avantage,
Lorsque rien ne marche après lui !
Vous eûtes de la complaisance;
Mais vous en deviez moins avoir,
Et ne vous pas mettre en dépense
Pour ne me donner que l’espoir.
S’il faut qu’une attente éternelle
Pousse à bout l’ardeur de mon zèle,
Le trépas sera mon recours.
Vos soins ne m’en peuvent distraire :
Belle Marianne, on désespère,
Alors qu’on espère toujours.
(Molière remix, of course 😉
A Balaruc notre petite association (APCP Association Pour une Culture Partagee) participe activement au printemps des poètes. Je sens que je vais proposer Olivier comme invité d’honneur 😉
Sur la loi numérique je dirai, pour faire court que ses principales apports sont dans les titres 1 et 2 .Le titre 3 est le plus faible malgré cette avancéee sur les usages Je vois 3 risques pour les infrastructures
1- danger de voir le réseau actuel, dont on annonce l’extinction, non entretenu, ce qui ne peut qur provoquer une dégradation des services de maintenance https://websdugevaudan.wordpress.com/2016/02/18/le-reseau-cuivre-estpresque-mort-vive-la-fibre/
2-danger de voir les opérateurs nationaux déserter les réseaux « fibre optique » publics et ce faisant « entraver » la concurrence sur les services dont les clients ont impérativement besoin pour entrer à égalité de traitement dans la « république numérique » ! https://www.nosdeputes.fr/14/question/QE/92926
3-danger, pour l’hyper ruralité du non remplacement du réseau fixe par un réseau de fibre optique pourtant necessaire, en complément des réseaux mobiles, pour GARANTIR le MEME NIVEAU de SERVICE à chaque citoyen 😉
INFRASTRUCTURES et USAGES =MEME COMBAT !
Gageons alors que Malherbe fasse fausse route lorsqu’il affirme, certes voilà des siècles, qu’un bon poète n’est pas plus utile à l’Etat qu’un bon joueur de quilles. Ton beau commentaire, Olivier, me laisse à penser que tu te verrais bien boule renversant toutes les E-quilles (et les B-quilles non ?). Es-tu le seul ? Ce me paraît bien peu probable… En allant dans ton sens, j’avoue me laisser de plus en plus aller à me demander « Ma Numericooouss à quoi bon » face à l’ampleur des erreurs fondatrices du plan THD des deux derniers Présidents de la République. Mais on ne refait pas une éducation béarnaise. Ou Alors il faudrait inventer le Canard Déchainé de l’Aménagement Numérique. Pourquoi pas… Au moins on s’amuserait un peu.
Un canard numérique ? OK mais un vrai, un dur, qui résiste à tous les coups durs et, pour le numérique, j’ajouterai « tous les coups fourrés » https://www.youtube.com/watch?v=xKXTwBSAwYQ 😉
« Ma Numericooouss à quoi bon » Ben quand on vit dans une île de 1500 habitants à 20 kilomètres au large à l’Est de la Guadeloupe sans télé sans radio mais avec une connexion en bas-débit je vais vous dire M. Jambes que face à Orange Caraïbes qui fait la loi jusqu’en influençant les élus dans l’élaboration de leur plan local d’urbanisme, Numericuss est la seule source d’informations compréhensibles pour des non-spécialistes usagers du numérique dont comme vous vous en doutez font partie nos élus nous permettant d’engager le dialogue avec eux sans passer pour des zozos. Il devrait y avoir un Club Numéricuss dans toutes les communes de moins de 3000 habitants. Je vous dis merci.
C’est moi qui sincèrement vous remercie.
Mon île à moi est à 9400 m d’un NRA oublié. C’est moins sexy mais tout aussi loin de la toile 🙂
Une boule, oui c’est cela, pour renverser toutes les B-quilles, mais une très grosse boule avec une force de frappe considérable pour faire place nette en one shot !
Tiens donc, en voilà un qui n’a pas peur de repartir sur une page blanche et qui en a les moyens : Telecom Infra Project.