« On comprend et on partage très profondément l’ambition qui sous-tend cette proposition de loi qui est d’apporter le plus vite possible le plus haut débit possible au plus grand nombre de Français« a commenté à l’AFP Pierre Louette, directeur exécutif de l’opérateur France Télécom avant même l’adoption de ladite loi. Mais, selon lui, les solutions proposées « peuvent s’avérer contre-productive, voire dangereuse« . Nouvelle épisode dans les débats sur le très haut débit et nouvel exemple de l’étrange position d’opérateurs qui ne veulent pas vraiment s’engager contractuellement à respecter leurs programmes de déploiement fibre optique alors que ces intentions d’investissements empêchent ou freinent pourtant tout projet d’aménagement numérique des territoires concernés.
La proposition de loi des sénateurs Hervé Maurey (Union Centriste) et Philippe Leroy (UMP) sur l’aménagement numérique du territoire a été adoptée par le Sénat le 14 février 2012. Elle affirme à nouveau que la création d’un réseau d’infrastructures haut et très haut débits relève de l’intérêt général. La loi a ainsi décidé que tout abonné à un réseau fixe de communications électroniques devra être en mesure d’accéder à un débit minimal de 2 Mbit/s avant le 31 décembre 2013 et de 8 Mbit/s avant le 31 décembre 2015. Il n’est toutefois pas précisé s’il s’agit de débits symétriques ou pas. Par ailleurs, la loi stipule que le réseau haut débit devra être complètement basculé vers le réseau très haut débit au plus tard le 31 décembre 2025.
Une loi qui vise à préciser les calendrier et les engagements des programmes annoncés par les opérateurs
Pour tenir ces objectifs, la loi a notamment adopté les mesures suivantes.
- Les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique devront être adoptés dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi. Leur révision sera examinée tous les deux ans.
- Dans les départements où aucun schéma n’est actuellement en cours, le représentant de l’État devra réunir les collectivités mentionnées à l’article L. 1425-2 précité afin d’y remédier. En l’absence d’accord dans un délai de six mois, le schéma sera établi sous la responsabilité du représentant de l’État dans le département en concertation avec lesdites collectivités.
- Le schéma devra recenser les engagements des opérateurs privés en matière d’investissement fibre optique dans un délai de trois années. Les opérateurs devront préciser l’intensité de leur déploiement de manière à en assurer la complétude. Ils devront aussi s’engager sur un volume de lignes construites jusqu’à proximité immédiate des logements et locaux professionnels, sur le pourcentage de foyers et d’entreprises concernés, sur un calendrier de déploiement année par année, et fournir la cartographie précise des zones couvertes. Ces engagements devront être accompagné des justificatifs permettant d’assurer la crédibilité des informations fournies ainsi qu’une preuve de l’existence d’un financement approprié ou tout autre élément susceptible de démontrer la faisabilité de l’investissement envisagé par les opérateurs privés.
- Ces engagements devront donner lieu à une convention entre les opérateurs privés et les collectivités et les groupements de collectivités concernés. Cette convention sera annexée au schéma et transmise à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. Les collectivités y préciseront également pour chaque zone la nature de leurs engagements à l’égard des investisseurs privés.
- Chaque année, les opérateurs privés devront rendre compte de l’état d’avancement de leurs déploiements à la personne publique rédactrice du schéma, ainsi qu’à toute collectivité ou à tout groupement de collectivités concerné à l’initiative d’un réseau de communications électroniques en application de l’article L. 1425-1 sur le territoire constituant le périmètre du schéma.
- Dans les zones où les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique à très haut débit en fibre optique, tout immeuble neuf devra être équipé des gaines techniques nécessaires à son raccordement.
En matière de très haut débit, la loi précise également que les projets intégrés des collectivités territoriales déployés dans les zones non rentables et rentables sont éligibles aux aides du fonds d’aménagement numérique des territoires. Une condition toutefois à cela, que ces aides ne soient assises que sur la partie de ces projets déployée dans les zones non rentables. La loi précise que les zones rentables désignent celles où des opérateurs privés ont déjà déployé leur propre réseau en fibre optique très haut débit desservant l’ensemble des utilisateurs finals de la zone considérée ou se sont engagés à le faire dans le cadre de la convention jointe en annexe du schéma directeur territorial d’aménagement numérique. Cette décision est applicable au Fonds national pour la société numérique mis en place par le programme national « très haut débit ».
Le fonds d’aménagement numérique des territoires pourra de même attribuer des aides aux maîtres d’ouvrage pour leurs projets situés dans des zones que les opérateurs privés s’étaient engagés à couvrir dans un délai de trois ans, lorsqu’il est établi, par l’ARCEP, à la demande de ces maîtres d’ouvrage, que les déploiements annoncés n’ont pas débuté au terme du délai défini conventionnellement ou qu’ils ont pris un retard significatif.
Le rôle de l’ARCEP renforcé
L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes devra établir annuellement, dans le cadre de son rapport adressé au Parlement, la liste des territoires départementaux concernés par la mise en œuvre du basculement du haut vers le très haut débit. Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, l’ARCEP devrait établir les conditions dudit basculement.
Le régulateur devra également prendre en compte les spécificités de chaque catégorie d’opérateurs dont les opérateurs de réseaux. Elle veillera à assurer la présence dans les instances de concertation et d’expertise qu’elle met en place de tout opérateur dont les opérateurs de réseaux, publics et privés, concernés par les règles envisagées, et à prendre en compte, dans ses décisions, chacune de ces catégories.
Un aménagement numérique financé seulement par les sanctions financières prononcées par l’ARCEP ?
Le produit des sanctions financières prononcées par l’ARCEP à l’encontre des opérateurs n’ayant pas respecté les conventions conclues avec les collectivités territoriales sur la base des schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique sera affecté au fonds d’aménagement numérique des territoires. Sans nul doute, c’est là que le texte de loi se révèle le plus prudent. Les propositions initiales des Sénateurs Leroy Maurey ont été en effet singulièrement modifiées. Bilan : aucun véritable mécanisme de péréquation n’existera en France au mieux avant plusieurs années. La solution retenue paraît en outre particulièrement longue et complexe.
Les réactions de France Telecom
France Télécom, via Pierre Louette, son directeur exécutif, a réagi avant même le vote de cette loi. Dans un communiqué AFP du 13 février 2012, l’opérateur historique a estimé que les les solutions proposées « peuvent s’avérer contre-productive, voire dangereuse. Si on veut être sûr de freiner le déploiement de la fibre dans le pays, voilà une des façons qui peut garantir d’atteindre cet objectif ». France Telecom estime en effet que le cadre juridique pour le déploiement de la fibre optique n’est stabilisé que depuis environ un an. Pour Pierre Louette «déformer ce cadre tous les ans est totalement contraire à un processus sur le long terme, avec une rentabilité envisagée à 15 ou 20 ans ». Il brandit la menace des dépenses supplémentaires qui seraient à assumer par des collectivités territoriales obligées de supporter des charges nouvelles. Il dénonce également le renforcement du rôle de l’Etat. Selon lui, le texte comporte en effet « une forme de désincitation des dépenses privées ». Tout le système deviendrait dissuasif avec la mise en place de contraintes et de sanctions. « On n’a pas besoin de défiance mais de confiance et de complémentarité pour la bonne articulation entre public et privé », a-t-il résumé.
Il sera intéressant d’analyser les réactions des Collectivités Territoriales et de mesurer l’ampleur des écarts entre RIP et opérateurs lors de États Généraux des RIP de Deauville le 12 mars 2012 auquel je participerai.
Débat très « clivé », Jean-Pierre, surtout en soirée à l’examen des amendements, ce clivage portant de fait sur le changement ou non de « paradigme » (de modèle)… clivage y compris à l’intérieur des représentations Droite / Gauche , bien identifié lors du vote final:
– Le PS vote pour, mais Yves Rome vote contre…
– l’UMP (Retailleau, Hérisson, …) vote contre, mais P. Leroy (entre autres) vote pour.
Ce débat autour du paradigme a pollué la « réflexion de fond » sur la thématique qui est la mienne :
– il est trop tard pour changer de paradigme, aménageons le en travaillant de conserve C.T. / Oper. Privés (y compris ceux d’ANT), sur les modalités pratiques de suivi/contrôle des engagements,
– réfléchissons au concept de PI/SIEG étendu en concertation sur les zones AMII, pour « péréquer, garder en cohérence » l’ANT (OFFRE de SERVICES) proposée aux différents segments (résidentiels, entreprises) un même territoire (échelon départemental),
– il est URGENT d’activer, en avance de phase sur AAP aux Guichets ‘B’, un plan de MeD pour sortir les zones blanches/grises de leur « isolement numérique »… en parallèle de réviser l’offre PRM…
Malheureusement, sur ce dernier point, l’article 8 n’est pas assez explicite, passe par un nouveau rapport sous 6 mois de l’ARCEP, dont on connait tous, les initiés, la compromission avec l’oligopole de l’ADSL sur la réglementation/régulation de la MeD…
Bcp à dire… Mais je dois passer à autre chose!
Bien à toi!
Intéressant Michel. Merci bcp. A force toutefois de voir ce modèle THD ne pas fonctionner, ni réglementairement, ni financièrement, ni commercialement, on est quand même en droit de s’interroger… Faut-il adapter, améliorer, préciser un modèle sans doute trop directement inspiré de la réglementation utilisée pour booster la concurrence sur un réseau unique, le réseau de France Telecom, déployé largement d’ailleurs sur fonds publics ? Au risque de faire vivre une option qui ne semble guère avoir fait ses preuves ?
Ne vaut-il pas mieux changer de modèle en inventant une solution adaptée à l’enjeu de la fibre optique et de la création de nouvelles infrastructures utilisables par les acteurs télécoms mais aussi par d’autres mondes et d’autres services (domotique, services à la personne, services publics…) ?
J’avoue que j’ai comme un doute. Qu’en pensez-vous ?
C’est sûr qu’après avoir entendu SILICANI parler de son devoir de veiller aux 30% de marges opérationnelles des quatre FAI dominants, cela fait tout drôle d’entendre la Louette parler de « rentabilité à 15 ou 20 ans » (en général, quand la rentabilité passe à 15 ou 20 ans, les acteurs privés découvrent qu’il s’agit, en fait, d’une activité publique). Il y a vraiment une gouvernance schizophrénique du développement de l’économie de la connaissance dans notre cher et vieux pays.
La proposition de loi MAUREY-LEROI est mal foutue parce qu’elle évite de remettre en cause la prétendue supériorité du secteur privé dans la gestion des biens publics.
(Rappelons que Louette est énarche et magistrat de la Cour des Comptes (lorsqu’il ne vaque pas dans les hautes sphères des directions néolibérales des boîtes privatisées) : théoriquement, ce qui se fait de mieux en matière de haute fonction publique.
Une fois de plus, plutôt que faire simple et efficace en gérant par les objectifs et résultats, une proposition d’empilage de nouvelles contraintes qui enclenchent des dépenses publiques mécaniques sans mesure d’efficacité ni de performance ni bilans du passé, dans une simple logique de moyens.
Le CL ont déjà dépensé plus de 3,5 milliards de façon non ciblée, très peu efficace, sans économie d’échelle ; si cette somme avait été mise dans la montée en débit et moins contrainte qu’actuellement, il n’y aurait plus aucune zone d’ombre, et le débit minimal sur le territoire serait entre 10 et 20M.
Il est urgent d’arrêter les dépenses inconsidérées, la dette l’impose aux acteurs qui se veulent responsables, et il faut partir de diagnostics, de besoins réels, de scénarios alternatifs chiffrés et ne pas renationaliser ce secteur très porteur et normalement concurrentiel sous la pression de tous les lobbys..
Si on veut améliorer la couverture, il faudrait d’abord faire un diagnostic concret et opérationnel de la situation.
Il y a des axes majeurs à traiter :
– simplifier le paysage de ce secteur concurrentiel par la mise en place d’une vraie concurrence, ce qui élargira beaucoup l’espace concurrentiel des réseaux, encouragera les investissements, développera les services,
– optimiser l’intervention publique par des choix chiffrés, comparés, avec une performance mesurée, publiée par départements et régions,
Par ailleurs, les infrastructures ne sont que des technologies qui se concurrencent très vite, il n’y a aucune solution pérenne, il n’y a pas de solution unique, il ne peut pas y avoir d’engagement d’un opérateur sérieux, chacun doit pouvoir développer ses propres réseaux en fonction de sa stratégie, constat de coûts et qualité des réseaux publics.. ; la comparaison avec les rails est une absurdité, le 4G arrive avec 100M, quid de l’actualisation des projets ? rien !même le génie civil peut devenir inutile ! et il faut surtout une très grande réactivité dans les choix technologiques.
Il faut la diversité des offres, des débits des services, certains peuvent se suffire de 10M, pourquoi imposer 100M, 1G ? je veux pouvoir choisir en temps que citoyens et surtout contribuable, supprimer d’autorité des réseaux parce qu’il font de l’ombre au dogme du tout fibre est une hérésie et une très mauvaise utilisation de nos deniers.
Je renvoie pour plus de précisions sur mes articles :
– marché télecom, le grand jeu de dupes : http://lecercle.lesechos.fr//node/33430
– Les élus sont trompés et poussés à la faute : http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/high-tech-medias/internet/221136656/couverture-numerique-elus-sont-trompes-et-po
– Cibler le déploiement numérique vers les PME, le poumon de l’emploi : http://lecercle.lesechos.fr/node/39483/
Le seule loi qui serait majeure et d’intérêt général serait d’obliger toute dépense publique à faire l’objet de business plan, de mesure d’efficacité et de performance, de résultats rendus publics, de suivi et mise en place de mesures correctives , et on aurait 1600 milliards d’excédents et non de dette!
Il serait temps de changer fondamentalement de logique si on veut sortir de la situation catastrophique dans lequel le pays continue mécaniquement à s’enfoncer par toutes ces dépenses « gratuites ».