Très haut débit : un point sur les accords et les points d’efforts

Les deux jours de débats et d’échanges d’Aurillac ont permis de mesurer le fossé qui reste à franchir pour envisager de tenir les objectifs fixés par le Plan National Très Haut Débit. Explications et retour à partir des 22 articles, interviews ou conférences consacrés à Ruralitic dans Numericuss. Plus positif, ils esquissent peut-être aussi les fondations d’une possible plate-forme de mise au point de ce chantier. Nous proposerons d’ailleurs un second papier à ce sujet.

100% des français en très haut débit : en 2025 ou en 2125 ?

En février 2010, le Président de la République a annoncé qu’il voulait que la totalité des ménages de notre pays disposent d’un accès internet à très haut débit en 2025 (et 70 % d’entre eux dès 2020). Le Ministre Besson l’a confirmé dans ses propos introductifs à Ruralitic. Cette décision fixe un référentiel d’intérêt général en fonction duquel il convient donc d’examiner la question ! Or, dans ce domaine, si quelqu’un avait encore un doute, RURALITIC l’a confirmé. Si la situation actuelle perdure, cet objectif ne sera pas tenu. D’une part, nous ne sommes pas encore outillé pour ce chantier fibre optique et, d’autre part, on observe toujours un grave déficit en matière d’innovation de services qui pénalise les parts de marché de la fibre optique en regard de l’Adsl ! La majorité des participants à Ruralitic l’a dit et l’Avicca l’a rappelé au début septembre. « Le rythme annuel emmène toujours sur un horizon d’un siècle pour faire basculer la France au Très haut débit, alors qu’il s’agit de construire dans les zones les plus denses ! ».

2025 se transformerait-il alors en 2125 ? Panne du plan national très haut débit ? Erreurs ? Oublis ? Ajustements indispensables? Quelles que soient les positons, force est de constater que le doute a régné en maître dans les couloirs d’Aurillac. Et du doute à la résignation, il n’y a parfois qu’un pas. Va-t-il donc falloir se résigner en faisant semblant de croire que tout va bien ? Devra-t-on attendre la tête baissée que des Google ou des Apple inventent les nouveaux gisements de services et d’emplois d’un numérique plus qu’émergent ? Triste perspective pour un pays en mal de relais de croissance et de faire ensemble.  Fort heureusement, à ces questions, la majorité des participants à Ruralitic semblent avoir répondu « non ». Démonstration.

L’Université d’été des territoires aura d’abord été à nouveau l’occasion d’entendre l’opinion de ceux qui militent de longue date, au sein de la société civile, pour un projet très haut débit à la mesure des enjeux et des concurrences mondiales. Or, pour ces défenseurs du THD, quelque chose s’est bien passée à Aurillac ! Deux exemples à ce sujet. JM Billaut a perçu comme un zéphyr de révolte. Pierre Ygrié a demandé de mettre « le THD à la campagne dans la campagne électorale » . On retrouve aussi ces positions dans la blogosphère, chez Michel Lebon ou chez Xavier de Mazenod par exemple.

L’un des événements saillants de Ruralitic est toutefois à mettre au crédit des Réseaux d’Initiatives Publiques (RIP). Dans le rang des Collectivités territoriales, la volonté d’avancer s’est  en effet matérialisée par le lancement d’une initiative collective fondée sur un appel à la « mobilisation générale ». L’affaire semble avoir fait grand bruit. En proposant de surmonter les points de blocage, elle  augure d’une possible nouvelle donne dans le paysage politique numérique. Il y aura-t-il un avant et un après Aurillac ?

Tout le monde, ou presque, dit vouloir avancer !

L’Etat tout d’abord n’a cessé de le marteler. Il faut agir. Pour B. Loutrel du Commissariat Général à l’Investissement par exemple, « le temps est plus à la polémique mais à l’action ». Catherine Mayenobe, directrice adjointe du Développement Territorial en charge des Investissements d’Avenir, a présenté le guichet dédié à l’appui des RIP. Et la Datar, via Marc Laget, a précisé les rôles des commissions consultatives régionales pour l’aménagement numérique des territoires pour organiser le débat entre opérateurs et collectivités territoriales. Est-ce suffisant ?

Les opérateurs présents ont ensuite non seulement confirmé leurs intentions d’investissements dans les zones denses, à hauteur d’environ 7 milliards d’euros, mais ils ont aussi éclairci quelques-unes de leurs positions. Deux exemples à ce sujet. Bruno Janet, pour France Telecom, a reconnu qu’il fallait plus de lisibilité et de mutualisation dans les actions en matière de THD. Il a affirmé que les opérateurs doivent désormais s’engager fermement à respecter leurs annonces, y compris via des formes de conventions et de contrat. C’est un changement sensible en regard du discours tenu par un autre collaborateur de France Telecom à Mortain. Du côté de SFR Collectivités, Cyril Luneau  a lui rappelé que son groupe entendait jouer un rôle fort dans le chantier fibre optique. L’entreprise, qui agira d’ailleurs aussi en tant qu’opérateur aménageur, entend ainsi  déployer 20 à 30% des prises Ftth en zones moyennement denses.

Par-delà ces prises de positions, Ruralitic aura surtout confirmé que les demandes des usagers allaient croissantes. L’enquête de l’AMRF se révèle à ce sujet particulièrement révélatrice. Près de 95 % de l’échantillon considère que l’arrivée du très haut débit dans leur commune doit être affectif dans cinq ans au plus. Le Président du Conseil Régional d’Auvergne va dans le même sens. René Souchon a en effet affirmé que le calendrier gouvernemental, organisé sur l’échéance de 2025, lui semble beaucoup trop long. Les exigences des usagers vont se révéler de plus en plus fortes pour le très haut débit et de ce fait « nos schémas vont avoir du mal à tenir avec une telle durée… ». Il y aura sans doute nombre de déçus.

Etat mobilisé, opérateurs prêts à investir, usagers dans l’attente… Tout va donc bien ? Visiblement pas. Et Ruralitic aura été une nouvelle occasion de dresser une liste des principaux dysfonctionnements qui bloquent le décollage du chantier très haut débit. Côté délégants, dans le rang des Collectivités territoriales, les motifs de mécontentement se révèlent particulièrement nombreux. Pour JC Nguyen, on est bien à la croisée des chemins. Soit on reconnaît une forme de maturité numérique des territoires, et le plan THD a des chances de réussir ; soit on reste dans la position actuelle et l’on n’avancera pas hors des zones denses. Ce proche du Sénateur Leroy  (UMP) dénonce également l’absence de solutions d’abondement du Fond National d’Aménagement du territoire. Il constate enfin que l’on a jamais vu une infrastructure d’intérêt général confiée à des opérateurs privés. Cette question s’affirme d’ailleurs au cœur de la discussion même si elle a été presque absente des débats à Ruralitic.

Car, là encore,  la France a choisi de faire preuve d’exception culturelle. Dans notre pays, l’Etat n’a en effet pas choisi de retenir un modèle de déploiement mais trois. En zone métropolitaine dense tout d’abord, la solution retenue est celle de la concurrence par l’infrastructure. C’est là principalement que les intentions d’investissement vont se réaliser. En zone moyennement dense, il a été ensuite choisi de procéder via des cofinancements avant tout entre opérateurs privés, puis, au cas par cas, entre opérateurs et collectivités. Dans les zones peu denses enfin, on irait vers un réseau d’infrastructures publiques locales ou financées en grande partie par la puissance publique.

Les trois modèles français n’en font-ils aucun de dimension nationale ?

Trois modèles font-il une solution d’envergure nationale?… Il semble que non et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, à l’heure actuelle, rien ne permet de comprendre les interactions entre ces trois modèles. Rien ne garantit ensuite quelque solidarité numérique que ce soit. Rien ne préfigure enfin les solutions pratiques de coopération versus exploitation entre tous les réseaux. Les trois modèles français ne convergent donc pas vers un projet unique. Ils ne donnent pas non plus la visibilité suffisante en termes d’outils d’exploitation. Plus grave, ils menacent même de mettre en péril les possibilités d’aménagement numérique du territoire national. L’une des conclusions des débats de Ruraltic confirme donc l’ampleur de nos problèmes. Sommes-nous donc en panne ? Sans doute pas car Ruralitic aura permis de confirmer les points de blocage à lever.

Les principaux obstacles à surmonter

Le premier de ces obstacles, affirmé urbi et orbi par tous les élus, a trait à la péréquation. L’urgence est de voir le FANT durablement abondé. Un très large consensus s’est exprimé à ce sujet. Plus largement, les sept collectivités territoriales  réunies autour de l’appel à la mobilisation générale ont proposé une position organisée notamment autour des 5 points suivants.

  • Elles demandent que soit reconnu pour les Collectivités territoriales un statut d’opérateur d’opérateurs à même de sécuriser et de pérenniser le cadre d’intervention des Réseaux d’Initiatives Publiques; des investissements publics trop oubliés à la fois par le plan national THD et par le cadre réglementaire. Frédéric Bordes, directeur de la concession Axione pour le Limousin, explique en effet comment la réglementation nationale THD risque de bouleverser ces économies déléguées.
  • Les Collectivités signataires s’opposent à une vision restrictive de la péréquation et exigent notamment de pouvoir intervenir à la fois dans les zones denses et non denses.
  • Elles réclament que l’on se donne de vrais moyens afin de faire respecter les engagements des opérateurs.
  • Elles souhaitent de même que l’on considère les les RIP à l’aune de la Net neutralité.
  • Elles exigent enfin que l’on sorte du dogme de la concurrence par les seules infrastructures alors que les gisements de valeur ajoutée, de créations d’emplois et de ressources sont aussi dans les services. C’est bien en effet d’innovations services dont nous avons aussi besoin. L’interview du Président de Wibox, Thomas Gassiloud, est à ce titre à intéressant. Thomas réclame des offres en prises activées et explique que c’est la condition pour voire aussi émerger des services locaux.

Le bien fondé des RIP, lancés dans une période où aucune véritable solution d’utilisation des infrastructures France Telecom n’existait, leurs impacts en termes d’aménagement numérique, la nécessité de considérer les fonds publics investis dans ces projets (…), rien de cela ne semble discutable. Il faut donc bien en effet garantir un statut d’opérateur aux collectivités délégantes et leur donner les mêmes droits et devoirs que tous les autres opérateurs.

Le cadre opérationnel semble également défaillant en matière de relations avec les propriétaires privées. C’est en tout cas le point de vue de l’Association des Responsables de Copropriété. Deux problèmes polluent significativement les relations copropriété / opérateurs. Le premier concerne le flou qui encadre les délais de travaux et plus encore de mise en service ; le second porte sur les choix techniques garantissant la possible mutualisation des réseaux optiques verticaux entre plusieurs opérateurs. Là encore, faute d’accord négocié, on éprouve des difficultés. Pourquoi donc ne pas inviter les représentants des copropriétés dans les travaux préparatoires aux déploiements et dans leur suivi ?

On pourrait ainsi multiplier les démonstrations qui montrent que ce que l’on recherche ressemble bien à une solution de coopération contractuelle fondée sur l’entente entre plusieurs collectivités, associations ou entreprises en vue d’objectifs partagés. Une formule de type Consortium peut-elle aboutir à ce véhicule projet commun ? Faut-il plutôt ne modifier qu’à la marge le cadre actuel, par exemple à travers les STDAN et les Commissions consultative d’aménagement numérique du territoire ? Doit-on à l’inverse changer de modèle et remettre une partie des infrastructures numériques entre les mains de la puissance publique ? J’avoue mes doutes… Mais, à l’issue de ces débats, il semble en tout cas que ce dont il est question devra tenter de concilier à minima les objectifs ci-dessous.

  • Fixer un cadre national permettant la solidarité numérique versus péréquation. Ce cadre est inexistant actuellement !
  • Éviter de  paralléliser les infrastructures réseaux lorsqu’elles existent en élaborant un cadre opérationnel de location de ces infrastructures. Ce n’est pas le cas à ce jour !
  • Stimuler la concurrence sur les services, notamment en mettant rapidement sur le marché un volume important de prises Fttx et, en particulier, en zones blanches et grises.
  • Adapter les solutions aux spécificités locales – départementales – régionales.
  • Mutualiser les moyens afin de jouer un vrai effet levier pour aller vite et organiser des procédures communes d’exploitation .
  • Associer les bailleurs et les acteurs de terrain en domaine privé, y compris via des formules innovantes de construction.
  • Reconsidérer aussi les conditions de déploiement, notamment tarifaires, de la fibre en aérien. Les tarifs ERDF sont trop élevés ; les prétentions des électriciens parfois trop importantes…
  • Accompagner ces initiatives réseaux de projets d’information, de formation et de coopérations en faveur de l’innovation numérique.

Le chantier reste donc conséquent. Cela n’empêche pas Alain Lagarde, président de Dorsal, de rester optimiste. Pour lui, « la sagesse prévaudra… », les textes réglementaires vont évoluer.

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