Quatre mois après le lancement de ce blog dédié aux questions numériques territoriales, après plus de 70 communications ou interviews, les enjeux se précisant, le temps est venu d’élargir les champs de réflexion. L’aménagement ou le développement des territoires s’inscrivent en effet en grande partie dans l’ordre des moyens. Services, emplois, solidarités, environnement, santé (…) le Web se déclinent selon des partitions qu’il appartient à chaque « métier » d’inventer, notamment dans leurs « proximités ». Presque tout reste à faire. Mais la spécificité de ce moyen « Web » réside toutefois dans son fort pouvoir d’entrainement. La socio-économie numérique concerne, transforme, consolide ou impacte en effet l’ensemble des secteurs. L’un des derniers exemples traités ici, celui de la banque, en apporte une confirmation exemplaire.
Pour les organisations territoriales, organisations au centre des questions abordées par ce blog, le défi s’avère aussi immense qu’enthousiasmant. Il s’agit bien de parvenir à concilier proximités et nouvelles métriques réseaux, ouverture aux mondes et construction de nouveaux outils, solidarités locales et dépassement des limites des territoires. En sacrifiant à une formule pourtant trop vide de sens encore, on pourrait résumer le projet en se demandant ainsi comment inventer les territoires 2.0 de demain ? Vaste sujet. Pour lancer ce chantier, nous avons demandé à Bernard Pecqueur, Directeur du Département Territoires de l’Institut de Géographie Alpine de Grenoble, de nous donner quelques premières clefs pour ouvrir les portes du concept de « ressource territoriale ».
Bernard Pecqueur, vous avez publié en 2007, avec Hervé Gumuchian, un ouvrage sur « La ressource territoriale ». Pourriez-vous nous dire ce que recouvre ce concept et en quoi il vous semble ce jour d’actualité ?
La « ressource territoriale » renvoie tout d’abord à l’interrogation sur la nature des intrants ou ingrédients qui entrent dans la création de valeur en économie. Traditionnellement on parle de « facteurs de production ». Ceux-ci peuvent prendre plusieurs formes : du capital, de la force de travail, des matière première et plus récemment, on ajoute la connaissance). Pour l’économie standard, ces facteurs sont des données a priori (les économies sont « dotées » ou pas) et le rôle des acteurs tant publics que privés consiste dès lors à optimiser la combinaison de ces facteurs.
La ressource territoriale se situe quand à elle en amont de ce processus de combinaison optimale. Les ressources n’existent qu’en potentiel, elles doivent être construites et révélées par les acteurs. Ceux-ci le font à partir d’une conscience commune d’une ressource partagée.
C’est là qu’intervient le sens de l’adjectif « territorial » accolé au mot « ressource ». En effet, si l’on admet que le territoire se définit d’une façon très large comme un concours d’acteurs dans un cadre de proximité (géographique et/ou institutionnelle) qui cherche à révéler puis à résoudre des problèmes productifs jugés communs, l’émergence de la ressource territoriale résulte d’un long processus de coordination entre les acteurs. Cette ressource se distingue donc d’une ressource naturelle (pétrole, paysage, etc.) ou d’une dotation fortuit en (présence d’un bassin de main d’œuvre, bonne position géographique, etc.) qui préexistent, mais elle les combine et les articulent pour en faire une « offre de spécificité« . C’est à dire que la ressource territoriale transforme des ressources en les liant à un territoire particulier, une origine historiquement construite. Cette approche de la ressource territoriale qui produit des biens et services spécifiques c’est-à-dire liées à un lieu et à un processus productif particulier, est d’autant plus d’actualité qu’elle propose une amorce de solution à la crise de la représentation du monde à partir des avantages comparatifs.
Pour faire bref, les ressources territoriales constituent des opportunités de création de valeur et de réponses aux besoins des citoyens, quasi illimités et permettant de sortir de la spirale dangereuse de la concurrence mondiale des produits standards qui met en péril les emplois et les industries des pays à salaires élevés.
Dans les travaux que vous menez à l’Institut de Géographie Alpine à Grenoble, pourriez-vous nous donner quelques exemples de construction ou d’exploitation de ressources territoriales ?
Dans nos travaux grenoblois, nous avons beaucoup investi l’agroalimentaire de qualité et notamment le domaine des produits labellisés selon leur qualité et leur origine (AOC,AOP, IGP, etc.). Ce domaine plutôt marginal est surtout symbolique de la ressource territoriale. La question de l’importance de l’origine territoriale et de la spécificité géographique doit être déclinée dans beaucoup d’autres domaines. Nous travaillons sur l’économie patrimoniale et culturelle combinée avec les services (notamment touristiques) qui donnent lieu à l’émergence de nouveau produits hybrides et complexes. Il s’agit alors d’analyser les « offres de site », émanation directe des territoires.
Quelles sont selon vous les principaux mécanismes, modalités, processus (…) qui participent à la construction de ces ressources territoriales ?
Les ressources territoriales naissent de la confrontation et de la coordination des acteurs qui cherchent à identifier le « génie du lieu », c’est à dire la vocation du territoire. Ce n’est donc que très secondairement, et en tout cas en second lieu, qu’apparait le rôle des producteurs. C’est donc la demande qui détermine les besoins et la spécificité des produits. Le processus crucial est celui de la détermination de la demande. Par quel média et par quelles coordinations la parole des demandeurs est elle captée et rendue lisible?
A l’heure de l’avènement du Web, des réseaux sociaux, des outils de travail en ligne, comment analysez vous l’évolution de la notion de « territoire » ou de « société locale » et des enjeux associés ? Ces nouveaux vecteurs de communication, loin d’enfermer l’acteur, renouvellent la notion d’investissement territorial au sens où les acteurs s’impliquent dans la définition de ce qui fait territoire entre eux. Les technologies de mise en réseau concourent donc à construire le territoire à travers la mise en société. Il faut désormais mieux comprendre comment l’intensification des transferts de connaissance et d’échanges permet l’émergence, l’identification et la désignation des ressources territoriales, nouveaux vecteurs de création de richesse.
En particulier, les relations de réseau mettent en relations de nouveaux acteurs. On est sorti du « mano a mano » entre seules entreprises privées et Etat. Depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983, les collectivités territoriales sont apparues comme acteur fort. Mais plus récemment, ce sont les acteurs associatifs et autre « société civile » qui émergent rendant plus complexe mais plus opérationnel la construction des territoires. L’ensemble des formes évolutives de ces connections peut être résumé sous le vocable de « gouvernance territoriale », vaste champs d’investigation qui reste à explorer. Bernard Pecqueur Grenoble, le 09 avril 2011
Merci de cet éclairage très pertinent. Je suggère à François DUPONT, co fondateur de l’IDT (Institut du Design Territorial) de mettre ce texte en lien sur notre site.
Une rencontre avec Bernard Pecqueur pour monter des conférences ou des stages sur ce thème, en lien par exemple avec l’ARENE Ile de France, ou le BSE Group (Reynald Werquin) me semblant pertinente.
Merci à Jean Pierre JAMBES de ces informa
Je suis plus proche des réflexions de Bernard PECQUEUR que de celles de l’AVICCA.
Bernard Pecqueur : Les ressources territoriales naissent de la confrontation et de la coordination des acteurs qui cherchent à identifier le « génie du lieu »
Taratata… propaganda !
Je ne résiste pas à faire un retour rapide presque 10 ans en arrière. Martin Vanier lui aussi pilier de l’Institut de Géographie Alpine dans un article titré « Le Futur de nos Identités » et publié initialement sur RadioPhare posait plutôt bien le problème…
Il décrivait alors 4 formes d’identités politiques possibles : Identités hypothétiques, identités souhaitées, identités en chantier et « identités émergentes ». Il me semble bien que c’est la dernière forme, celles des identités émergentes a-territoriales qui ont remporté la mise. Celles qui « ne se reconnaissent pratiquement pas dans les territoires constitués, qu’au mieux elles adoptent par intérêt pratique, tout en les débordant ».
Je ne peux m’empêcher de lire dans l’article d’aujourd’hui (une dizaine d’années plus tard donc) quelques vœux pieux qui nourriront sans doute les pétitions de principe des candidats de 2012 mais qui n’auront que faiblement prise sur un mouvement inexorable.
Le réseau libre, ouvert et neutre est désormais en guerre ouverte contre le territoire de la montée en débit. La spatialité est désormais de deux ordres : le réseau et le lieu. Le réseau, précisément pour ce qu’il autorise de transgression des limites et des distances, deux constitutifs du territoire. Le lieu (quel que soit sa taille, son étendu), pour ses ressources, en particulier symboliques et emblématiques. La géographie n’est pas morte, mais à la finitude du territoire succèdent l’ouverture du réseau, combinée au génie des lieux (le génie en ce qu’ils ont de singulier et qui favorisent telle ou telle pratique collective).
Libre à ceux qui vendent leurs conseils aux collectivités de nier l’évidence. Pour ma part je crois indispensable de rompre avec ces illusions.
Olivier,
Tu avoueras que la pensée d’un géographe du développement local à une toute autre ampleur que celle d’un secrétaire d’État à l’économie numérique. La géographie est une discipline scientifique conviviale. Il est assez facile de traiter les objets « territoires thématiques » et ‘territoires géographiques » de la même façon ; en général, ce sont les territoires thématiques qui bénéficient de la comparaison parce que leurs acteurs sont plus cohérents entre eux. Ils n’empêchent que le territoire géographiques demeurent des objets très robustes capables de valider les processus les plus fous.
Le problème, Bernard, et c’était le sens de ma provocation, est que les territoires géographiques sont désormais tellement instrumentalisés par l’oligarchie que le mot même de territoire est inutilisable.
Parlons avec Michel Authier de « paysages de connaissances » mais, de grâce, ignorons résolument cet avatar du contrôle social que certains nomment « gouvernance territoriale » et qui produit partout de la domination et du désespoir.
Je n’aime pas le concept de gouvernance anglosaxonisé. Et l’internet arcepisé.
S’il est possible de parler cuisine ici, je dirais que la lacune de l’Institut de Géographie Alpine est de n’avoir pas su qu’il est impossible (sauf hasard) de mener une analyse systémique sans maîtriser robustement la technique comptable. Cette lacune est assez générale parmi les systémiciens, quelle que soit leur discipline ; je suppose qu’il doit exister quelques Bérézina cachées en la matière.
Oui, la Bérézina cachée existe. Elle fait partie des défaites honteuses que l’on se garde bien d’éclairer frontalement, elle a eu lieu un certain 21 avril 2002 et menace de se reproduire à l’identique à un détail près (insignifiant) au printemps 2012.
Comme me l’écrivait un ami avisé il y a quelques heures : Les aigreurs récurrentes du monde du développement local ont pour origine le volume de pognon qui a été injecté dans le processus (sans résultat ou, en tous les cas, sans évaluation) : certains ont touché, d’autres pas. 😉
Alors il est plus que temps de faire sérieusement les comptes et tant pis pour le consensus mou qui fait du territoire institué le cache-sexe des Tartuffes !
Ce n’est peut-être pas aussi simple. Nous avons cru pendant très longtemps que le débat entre les « élites » étaient fructueux et faisaient rapidement avancer les idées ; sous-entendu : les idées rationnelles sont les meilleures parce qu’elles sont plus efficaces. Le processus sarkosiste tend à montrer la fausseté d’une telle préconception.
Me vient à l’esprit une citation de St John Perse : »O temps de Dieu, sois nous comptable. » Nous en sommes à nouveau là : nous savons de moins en moins consolider l’énergie consacrée au mensonge et à la tromperie avec celle engagée dans la bienveillance.