En ce moment, je passe beaucoup de temps dans la Haute Lande, entre départements des Landes et de la Gironde, pour transformer en livre des reportages vidéo consacrés à l’invention de la Grande Agriculture. Je prends un plaisir immense à arpenter ces terres parmi les moins peuplées de France, entre pins maritimes et grande agriculture. Je redécouvre ce pays de forêts et de lumières en tenant le rôle de collecteur de la mémoire de pionniers ruraux qui, entre 1949 et schématiquement 1968, contre l’avis de tous ou presque, ont osé se lancer dans une activité jugée impossible : cultiver les terres pauvres de la Haute Lande.
Solferino, Morcenx, Labouheyre (…) peut-être ces hauts-lieux de la Grande Lande vous sont-ils encore étrangers ? Sans nul doute, vous vous demandez ce que viennent faire dans un blog dédié au développement numérique des territoires, ces considérations de pseudo-écrivain en mal de sensations épistolaires ? Deux observations m’incitent pourtant à suggérer, après d’autres, une autre forme de convergence entre agriculture, développement numérique et innovations locales.
La première de ces observations demande quelques lignes de contextualisation. Les pionniers agricoles de la Haute Lande ont magnifiquement réussi. En soixante ans, ils ont fait de ce coin de France l’une des régions agricoles les plus performantes de notre pays. Des récoltes de maïs de plus de 140 quintaux à l’hectare, 11% de la production nationale d’asperges et plus de 10% pour le haricot vert, des parts de marché carottes autour de 20%… La Grande agriculture de la Haute lande est un fleuron. Et ce fleuron est aujourd’hui géré par de vrais agriculteurs manageurs. Béotien de l’agriculture, j’ai été surpris de constater à quel point le métier avait pris une dimension de plus en plus large. Culture, recherche-développement, gestion de l’eau, gestion du personnel (…) et, de plus en plus, talents de commerçants, de communicants et de quasi-traders. J’ai ainsi rencontré des femmes et des hommes de plus en plus connectés. Des traders reliés aux places de marché et de vente et se demandant chaque jour, faut-il vendre? Dois-je attendre encore un peu ?… Des managers traçant sur le GPS de leurs tracteurs leurs pratiques agricoles et leurs cultures pour ensuite les publier dans des extranets bien fichus qui les relient aux coopératives agricoles. Un texte récent de l’Avicca dans ce domaine est intéressant à ce sujet. Pour avoir pas mal fréquenté le monde des PME, j’aurai alors parfois rêvé d’en voir autant. Les agriculteurs aujourd’hui sont bien des E-managers. Mais des e-managers qui doivent parfois manier le modem pour e-manager… En discutant ainsi avec ces nouveaux « amis », nous en sommes venus rapidement à parler réseau Télécom et moyens de rendre plus performants l’existant dans ce domaine.
C’est à ce moment aussi que j’ai commencé à comprendre les potentialités de l’auto-construction des réseaux, tout au moins d’une partie des ouvrages pour une partie des réseaux. C’est la seconde observation. Ces agriculteurs exploitent des centaines d’hectares et sont lourdement équipés de force tracteurs, sous-soleuses, charrues et autres engins qui creusent, tirent, déroulent, nivellent… Ils maîtrisent les techniques de drainage sur des sols où la faiblesse des pentes transforme les apprentis creuseurs de trous en clowns. J’ai ainsi construit une conviction selon laquelle si on leur demandait, comme cela un peu brutalement, « saurais-tu de tirer un fossé droit, de 60 à 80 cm de profondeur, en y déroulant un fourreau de 100, pour le reboucher en ménageant quelques sorties ici ou là », ils auraient comme un sourire… Peut-être même se demanderaient-ils si le lascar en face d’eux a bien compris leur quotidien côté pratiques agricoles.
Bref, j’ai le sentiment qu’il pourrait être opportun de tenter des expériences de désenclavement numérique rural dans lesquelles on utiliserait les compétences locales matérielles et immatérielles déjà existantes, notamment dans l’agriculture. En allant même un peu plus loin, une autre idée taraude plusieurs d’entres-nous. Pourquoi ne pas tenter d’organiser une forme de cluster, ou un réseau de clusters réunissant autour d’un projet de déploiement de réseaux télécom des agriculteurs propriétaires de terrain et dotés de machines et de compétences, des électriciens locaux, des opérateurs et des collectivités ? Pourquoi pas…
Je garde un souvenir ému d’un restaurant de Pomarez dont j’ai oublié le nom mais dont je n’ai pas oublié le civet de lièvre…en 1967 ! Si l’internet avait existé à cette époque je suis certain que ça aurait été un sujet de conversation à la table d’hôte ! Le terroir et l’internet sont faits pour s’entendre …c’est ça la ruralité moderne !
Mais revenons en Lozère où je vais demain pour le traditionnel dîner du MRGJ ( Mouvement pour la Réhabilitation du Gras de Jambon) 😉
Je reporte à plus tard la réflexion que nous propose Jean Pierre…un coup de flegme sans doute ….
Effectivement, nous sommes quelques-uns parmi les « Ruraux » à savoir que les Agriculteurs, les Viticulteurs, les Forestiers, bref, les Ceusses qui vivent, travaillent et produisent de la Nature, sont des – sinon les – acteurs-clefs de l’aménagement numérique de nos terroirs.
Depuis les drains dans les champs aux sondes météo dans les vignes, depuis les pressoirs champenois aux fromageries basques, depuis la surveillance des troupeaux à la gestion des stocks, on dispose de tous les éléments pour mettre en oeuvre le triptyque Technos/Réseaux/Usages…
Je reviendrai plus tard ici (manque de temps sur l’instant) pour décrire un exemple bien concret quelque part en Brie Champenoise : une ancienne fromagerie, au pied de laquelle passe le réseau THD Sem@for77, qui pourrait « aisément » être transformée en centre multi-activités centré autour du métier de maraîcher. Centre de formation d’apprentis, espace de co-working rural, marché local, production d’électricité verte, etc…
Ah depuis le temps que je rêve du tracteur équipé de la charrue à soc vibrant de chez Lancier et d’engager la marche en avant !
Au fait, Jean-Pierre, je connais deux garçons sympathiques qui ont créé en 2006 dans le Parc Naturel Régional du Vexin Français une société civile d’exploitation agricole à capital variable avec un très beau projet de création d’une ferme expérimentale mixte, activité et habitat (36 logements) permettant, outre une activité horticole, l’exploration en milieu rural d’un nouveau mode opératoire en matière d’aménagement des réseaux fibre optique.
L’idée astucieuse de ces deux garçons était de s’appuyer sur les programmes de soutien à la restauration ou à la création des haies qui sont engagés dans de nombreux départements (exemple ici dans le Vexin) et de coupler cela au déroulement de la fibre.
En outre, lorsque l’on pousse l’idée on finit par rejoindre le dossier de la trame verte et bleue française qui désigne officiellement depuis 2007 un des grands projets nationaux français issus du Grenelle de l’Environnement (peut-être l’un des seuls qui tiennent encore debout 😉 ) .
A propos de cette Trame verte et bleue à laquelle nous pourrions en superposer une autre, Wikipédia nous précise que c’est un outil majeur d’aménagement du territoire pour la restauration écologique du territoire en France. Il est issu d’un travail collaboratif de concertation, associant l’État, les collectivités et un grand nombre d’acteurs, qui doivent à partir de 2011 le décliner et le traduire en actions concrètes (cartographie), en stratégies régionales et locales concertées, par des réalisations d’écoducs, des opérations de gestion intentionnelle et restauratoire et locales.
Gestion intentionnelle ! C’est pas beau ça… et 2011 mais c’est aujourd’hui !
Dans tous les cas, pas de souci, si tu veux que je te présente les garçons en question ce sera avec plaisir. Aux dernières nouvelles ils ont rendez-vous avec des agriculteurs de l’Aubrac pour créer une liaison Aumont-Aubrac / Nasbinals par le chemin de Saint-Jacques
Bon. Je jubile de voir que la notion de processus intentionnel que je tente de diffuser depuis des années commence à émerger (en concurrence avec les processus aléatoires et les processus déterministes)
Silicani a envoyé, ce soir, le rapport MacKinsey intitulé « Impact d’Internet sur l’économie Française » qui tente de rendre cohérente entre elles trois visions possibles de cette question (mais en faisant l’impasse sur la notion de puissance de réseau qui semble échappé à la presque totalité des gourou du net. J’en extrais cette prédiction : »Si elle parvient à atteindre la « maturité numérique » des cinq premiers pays de l’OCDE, la FRANCE peut aller plus loin que ne lui promettent les projections à horizon 2015. Au lieu des 129 milliards d’euros de poids économique prévus, correspondant à la simple prolongation de sa courbe de développement actuelle, elle pourrait ainsi porter à 160 milliards d’euros, d’ici à cinq ans, la contribution d’internet au PIB. (MacKinsey n’explique pas s’il faudra sécher Madame FT pour rentrer dans ces cinq pays). Reste à savoir entre qui seront partagés ces 8 et quelques points de PIB ?