La note du Conseil d’Analyse Économique de janvier 2020 (1) apporte une pierre de plus à tous ceux qui militent pour la transformation des politiques territoriales. Ses auteurs, Yann Algana, Clément Malgouyresb et Claudia Senikc, analysent une partie des fondements des mouvements sociaux qui agitent le pays depuis de longs mois, notamment celui des gilets jaunes. Ils montrent de quelles manières ces mouvements trouvent une partie de leurs origines dans une géographie du mécontentement et dans un ensemble de réactions face à des politiques de concentration métropolitaine qui font disparaître équipements et services public, ou d’intérêt public, dans les territoires les moins denses. Cette « revanche des lieux qui ne comptent pas » interpelle encore une fois les politiques numériques publiques.
La note du Conseil d’Analyse Économique intitulée « Territoire, bien-être et politiques publiques » s’organise autour d’une analyse statistique qui cherche à identifier les déterminants locaux du mécontentement d’une partie de la population. Cinq facteurs sont étudiés à l’échelle de la commune entre 2012 et 2017 : l’emploi, la fiscalité locale, les équipements privés et publics, l’immobilier et le lien associatif.
La revanche des lieux qui ne comptent pas
L’analyse montre que c’est la disparition des lieux de socialisation qui participe au mal-être des territoires mobilisés dans le mouvement des Gilets jaunes. Déclin des commerces, fermeture des bureaux de poste, des écoles, des tribunaux, ou des lieux de santé, l’hypothèse défendue estime que les endroits où la mobilisation gilet jaune a été la plus forte correspond aux communes dont les conditions de vie locales se sont le plus dégradées ces dernières années.
Le déclin de l’emploi local joue un rôle premier. La disparition du dernier commerce local, la fermeture d’un lieu d’enseignement comme d’un équipement de santé, la lente dégradation de la vie associative locale nourrissent également ces mouvements sociaux. « Le facteur géographique du mécontentement plongerait ainsi ses racines dans la concentration des activités au sein des métropoles.» Un rapport d’Octobre 2019 du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques confirme ce recul de l’accès aux services publics – écoles primaires, bureaux de poste, maternités et gares – dans les petites communes et les territoires ruraux sur la période 1983-2013 (2).
Changer de méthode ? Quatre recommandations
Le modèle métropolitain, l’hyper concentration française autour de la région parisienne confirment ainsi l’ampleur des dysfonctionnements qu’ils génèrent. Les auteurs de la note du Conseil d’Analyse Économique plaident pour une révision complète des stratégies publiques. Ils suggèrent pour cela quatre inflexions.
- La première vise à « redéfinir les objectifs d’aides aux territoires en prenant en compte toutes les dimensions du bien-être et non les seuls critères économiques ».
- La seconde consiste à rénover l’approche de l’État central vis-à-vis des politiques de soutien aux territoires. Ils conseillent pour cela de privilégier l’accompagnement technique et financier à des projets initiés localement et portés par l’ensemble des acteurs concernés.
- La troisième passe par la suppression des politiques d’exonérations fiscales, de type Zone de Revitalisation Rurale, pour utiliser ce budget pour les projets locaux destinés aux territoires ruraux, dont l’allocation doit étroitement impliquer les élus au niveau local.
- La dernière a trait au réseau France Services. Pour ces maisons de services publics, les auteurs suggèrent de cibler des lieux de passage et surtout d’inclure aussi des services de proximité, y compris privés, en fonction des besoins locaux des usagers, et en évitant le tout numérique.
Inventer une transition numérique des territoires les moins denses pour ne plus subir une nouvelle vague de concentration urbaine
Les impasses du tout numérique sont celles que nous dénonçons depuis de longues années. Les projets que le Lab Numericus déploient se construisent ainsi dans une optique diamétralement opposée. Il ne s’agit pas de supplanter les équipements de proximité par des solutions en ligne mais au contraire de consolider et de diversifier les lieux comme les services du territoire par des solutions numériques maîtrisées localement. Il est ainsi possible de générer notamment plus de liens entre habitants et équipements locaux et plus de la capacité à agir. Ainsi peut se résumer ce concept de proximité augmentée proposé voici plusieurs années et que nous expérimentons au travers notamment de projets distribués de la Loire-Atlantique à la Haute-Savoie en passant notamment par le Doubs, le Pays de Gex et les Pyrénées-Atlantiques.
- Yann Algana , Clément Malgouyresb et Claudia Senikc – Territoires, bien-être et politiques publiques, Les notes du conseil d’analyse économique, n° 55, Janvier 2020 – http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/cae-note055.pdf
- Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (Dufrègne J-P. et J-P. Mattei, rap.) (2019) : « Évaluation de l’accès aux services publics dans les territoires », Rapport d’information de l’Assemblée nationale, n° 2297, 10 octobre.
- Voir Oliveira Martins J. et K. Maguire (2019) : Regions in Industrial Transitions: Policies for People and Places, OCDE et Oliveira Martins J. et K. Maguire (2015) : « Vers un nouveau paradigme des stratégies de développement régional dans l’OCDE », Revue de l’OFCE, n° 143, juillet.
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