Hong-Kong est plus connue pour la hauteur de ses buildings que pour la difficulté de ses montagnes… Les quelques 200 participants au symposium Acome ont pourtant à nouveau découvert les charmes de la randonnée vers les sommets du très haut débit espérés vers 2017. Entre maquis réglementaires, investissements en berne, atouts industriels et opérateurs motivés, visiblement on cherche encore le chemin mais l’ascension finale ne serait plus éloignée. Voici donc une première série de cairns pour ne pas perdre la trace des pays leaders.
1er cairn, l’ascension finale n’a pas encore commencée. Pourquoi ?
Pour comprendre tout d’abord où sont les principaux points de blocage qui freinent les cordées, le second jour du symposium a été particulièrement intéressant. La conférence donnée par Martin Tissier, avocat, restera notamment comme l’une des plaidoiries les plus cruelles pour le vieux Plan National THD. Si quelqu’un doutait encore du fait que le PNTHD ne fixait ni un véritable droit du THD, ni un cadre suffisamment dynamique, ils auront d’ailleurs eu d’autres réponses à travers le témoignage d’Ariel TURPIN, Chef du service de l’aménagement numérique du CG77. En Seine-et-Marne, la délimitation des zones AMII a en effet non seulement émietté le territoire départemental, ce qui va provoquer une inéluctable augmentation des budgets publics d’aménagement numérique, mais aussi figé les investissements pourtant programmés. Bilan : les budgets 2011 et 2012 du CG77 n’ont pas été consommés ! On comprend mieux pourquoi les industriels notent une baisse des commandes fibre optique en 2011 et 2012. Sans révision du PNTHD et du cadre de régulation, impossible d’avancer !
Cairn n° 2, il faut caler une organisation à même de produire, construire et entretenir environ 8 millions de fibre en France. Mais quand ?
A ce jour, le marché du THD n’a pas pris sa vitesse de croisière. Nous ne sommes pas dans le rythme nécessaire pour tenir les objectifs du PNTHD. On construit actuellement 500000 prises FttH par an ; or, il en faudrait 2,5 millions. C’est ce qu’a fait remarquer Jacques JAILLET (Directeur marketing Acome) qui a également esquissé une série de modèles pour cerner les futurs besoins de productions industrielles. Il a notamment par exemple quantifié les consommations de fibre optique dans d’autres pays leaders, le Japon ou les USA par exemple. Au Japon, on aurait ainsi déployé 1,6 km de fibre optique par habitant. Aux USA, Jacques JAILLET obtient étrangement ce même résultat de 1,6 km par habitant. Or, en Europe, il n’y a aujourd’hui que 0,6 km de fibre déployée par habitant. Dans les deux prochaines décennies, on devrait donc avoir à poser environ 70 millions de fibre, avec une marge d’erreur de plus ou moins 15 millions, dont 8 en France. On en reparle avec Jacques Jaillet lors du symposium Acome de 2032 ?
3è cairn, Il existe des modèles tenables hors des zones denses.
Pour atteindre ces volumes de déploiement, et pour tenir les objectifs de fibrage du pays, il faudra bien parvenir à trouver des modèles économiques tenables hors des zones denses. Le symposium aura, dans cette optique, permis de découvrir deux projets particulièrement instructifs, le premier en Allemagne, le second en Nouvelle-Zélande. J. MARTIN (société Sacoin) a présenté l’exemple de Oberhausen en Allemagne, une commune de 1264 habitants située à 80 km de Munich. Faute d’intéresser quelque opérateur que ce soit, Oberhausen a décidé de déployer un réseau FttH 50 Mbps symétrique sur sa propre initiative mais en s’adjoignant les services d’une entreprise spécialisée choisie après consultation. C’est l’entreprise Sacoin qui a été retenue. Le réseau est désormais opérationnel et cinq projets similaires sont en préparation en Bavière. Etienne DUGAS (société Marais) a lui décrit le projet Ultra-fast broadband néo-zélandais. La Nouvelle-Zélande entend couvrir 75% de sa population en FttP au plus tard en 2019. Elle a créée pour cela une structure publique, Crown Fibre Holdings, et a lancé un appel d’offres pour construire 1,2 millions de prises activées. Le cout par prise serait de 1800 euros. Quatre sociétés ont été retenues, dont Enable Networks et une filiale de l’opérateur historique (Chorus), sur un principe de PPP entre Crown Fibre Holdings (CFH) et chacune de ces 4 sociétés. Les prix sont encadrés. Les tarifs les plus bas, pour une offre 30/10 Mbps, sont de 37 $NZ par mois. Ils sont inférieurs à ceux de l’ADSL. Il n’y a pourtant que seulement 15 habitant au Km2 en Nouvelle Zélande. Comme quoi, même si on aurait aimé plus de précisions sur le cas néo-zélandais, on peut rapidement aussi déployer en zones peu denses. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé David EL FASSY (Altitude Infrastructures), à travers la présentation du projet pilote d’Aumont-Aubrac en Lozère, ou encore Ariel TURPIN à travers Chevry-Cossigny.
Cairn 4, Des offres commerciales en Gbps existent déjà. France recherche trublion THD !
Le show de Ni Quiaque, dirigeant City Telecom, un FAI de Hong-Kong restera sans aucun doute comme l’un des moments forts du symposium. N’est-ce pas aussi ce type de guide qui manque encore à nos cordées THD nationales ? City Telecom a non seulement déjà lancé des offres d’abonnement à 1Gbps symétrique mais il a aussi expliqué à quel point ses « tuyaux » étaient largement ouverts à tous ceux qui veulent innover en matière de service over the top. Chez nous, quelques sombres 1.0 se demandent si le THD apporte vraiment une valeur ajoutée en regard du HD… Pas lui ! City Telecom est ainsi passé de la quatrième à la seconde position en termes de parts de marché. A quand un trublion du THD dans notre pays ? La encore, sans un tel empêcheur de penser en rond, on aura du mal. Comme quoi, tout n’est pas faute des pouvoirs publics…
Cinquième cairn, Les technologies fibre optique progressent sans cesse.
Soudures et installations plus faciles, fibres moins sensibles aux courbures, épissures par fusion, ou encore par exemple Low Friction Indoor Cable qui permet de mieux réutiliser les fourreaux existants, le symposium aura aussi été l’occasion de présenter quelques-unes des innovations technologiques de la filière. C’est impressionnant. Il est d’ailleurs particulièrement rassurant de voir que l’Europe avance dans ces domaines avec de solides atouts.
Cairn 6, le THD n’est pas qu’affaire de télécom
Patrick BERNARD (Rexel) et Stéphane LELUX (Tactis), via des entrées différentes, n’ont eu de cesse de le rappeler. Les réseaux fibre optique ne sont pas faits que pour transporter des images haute définition… Convergences entre courants forts et courant faibles, internet des objets, énergie, services non télécom, ces réseaux du siècle à venir ne peuvent se penser et se construire comme ceux du siècle passé. Or beaucoup, presque tout, reste à faire dans ces domaines… Nous démarrons plusieurs travaux dans ces domaines. A suivre donc si tout va bien.
Cairn n°7, il faut anticiper
Dimensionnement des moyens de production industrielle, formation des personnels, architectures réseaux à penser aussi en fonction des futurs usages non télécom, interopérabilité des solutions d’exploitation, autant de facteurs pour lesquels les participants du symposium ont pu là aussi à loisir expliquer à quel point l’anticipation était la clé de la réussite. Marie-France DUJARRIER (Novea) a par exemple rappelé les impératifs en matière de formation. Elle estime les besoins de recrutement autour de 12000 créations d’emplois pour le THD. Et encore n’a-t-elle évoqué que les stricts univers du déploiement et de la maintenance. Numérique et croissance vont bien ensemble.
Cairn 8, on a besoin d’air et de coopérations pour avancer
Le symposium se termine sur un drôle de sentiment toutefois. Entre enthousiasmes, doutes et éternels débats, comme si on cherchait encore les clés. J’ai d’ailleurs été surpris du nombre de protestations quant aux dysfonctionnements du cadre réglementaire, étonné de la dureté des propos sur la situation française. Comme si on manquait de l’oxygène coopératif indispensable aux grandes ascensions. Sans cela pas d’assaut final vers les sommets du THD. Tout le monde le dit et beaucoup est déjà lancé. Débuts de référentiels techniques communs, workings groupes technologiques, partages d’expérience en matière d’éco-conception des câbles optiques, coopérations esquissées entre RIP ou encore, par exemple, partenariats entre acteurs publics et privés, la liste est longue. Même s’il n’existe toujours pas un grand projet THD commun, cette liste incite quand même à l’optimisme. L’Europe vient d’ailleurs de rappeler l’importance des grands projets d’infrastructures en donnant son feu vert au financement des grands projets d’infrastructures.
Quel dommage par conséquent que ce symposium n’ait pu déboucher sur une véritable avancée partagée entre consultants, collectivités, opérateurs, industriels et installateurs dans ces domaines, ! Quel dommage qu’aucune vraie vision commune autour d’un plan d’actions stratégiques à la mesure du projet n’ait été esquissée. Ce n’était bien sûr pas le but mais on l’a un temps espéré à travers quelques nouveaux appels à appel. La prochaine fois ?
A suivre.
Je crois me souvenir qu’en 2008, certains trublions avaient imaginé un pilote 1Gbps sur Pau Broadband Country…
Autre remarque, rebondissant sur les propos du cher Jacques Jaillet : effectivement, nous sommes en France très très loin d’un déploiement massif du #FTTH.
C’est pourquoi, si les solutions techniques actuellement utilisées « fonctionnent » aujourd’hui, elles ne seront plus du tout adaptées demain lorsque il faudra vraiment appuyer sur l’accélérateur.
4-heures/homme pour raccorder un abonné depuis le pied d’immeuble aujourd’hui : faites le calcul…
Au risque de me répéter : il est impératif, obligatoire, fondamental, de revoir la copie de zéro. La feuille blanche.
Merci Jean-Pierre pour cet article stimulant qui éclaire précisément le mal français : l’absence de ce trublion, empêcheur de penser en rond qui permettrait d’en sortir par le haut. Nous pouvons toujours pester contre les incohérences de l’Etat ou les faiblesses structurelles des collectivités mais il ne faut pas pour autant nier le manque de créativité de l’initiative privée dans ce domaine.
un autre temps mon ami… mais quel dommage que nous n’ayons pas eu quelques années de plus. Quand je vois ce qui se dit aujourd’hui, on avait quand même fait à 90% les bons choix pour participer de la création d’une vraie plate-forme d’innovations ouverte et neutre. Dommage. Mais on s’est bien amusé 🙂
Olivier. Je pensais justement à toi ce jour. En tentant de reprendre la plume sur une idée sur laquelle je souffre pour tenter un début de matérialisation. heureux de te lire.
Ma foi, Jean-Pierre, la maison ne reculant devant aucun sacrifice je suis en train de m’installer dans le Gers pour y poursuivre mes petites expériences (tandis que Mathieu Coste est resté basé sur le Lembron et poursuit le chantier de l’A75). De Auch à Pau il n’y a plus guère que 80km ce qui devrait nous faciliter les échanges 😉
La proximité géographique ne peut que renforcer la proximité des idées !
Il n’est jamais trop tard…
Allez les petits ! pardon les « grands » lorsque plus tard on aura enfin compris ! j’espère 😉
« la nouvelle équipe (gouvernementale) aura-t-elle la capacité de résister aux lobbies des opérateurs et surtout de l’opérateur historique ? ». Que voilà une bonne question du sénateur Maurey !
http://www.challenges.fr/high-tech/20120522.CHA6621/comment-pousser-les-operateurs-telecom-a-deployer-le-haut-debit-en-france.html
Bon interview en effet. Bravo à Paul Loubière.
Les cris de la « bête » !!
(1) http://www.pcinpact.com/news/71069-tres-haut-debit-chine-japon.htm
(2)http://www.presence-pc.com/actualite/fibre-optique-bresil-47676/
(3)http://www.silicon.fr/fibre-optique-en-europe-74925.html
(4)http://www.fibre-optique-france.com/23052012/la-france-doit-avoir-lambition-de-la-fibre.html
(5)http://www.lamanchelibre.fr/actualite-35746-les-acteurs-la-fibre-optique-lancent-appel-au-gouvernement.html
(6)http://www.jdt.fr/article.php?id=319&np=1
(7) http://www.e-alsace.net/index.php/smallnews/detail?newsId=10644
Au fin fond du Gévaudan http://websdugevaudan.wordpress.com/
C’est sûr que le sénateur Hervé MAUREY sait de quoi il parle lorsqu’il parle de lobbies.
En première approximation, je soutiendrais que la mécanique intellectuelle de Fleur PELLERIN est plus proche de celle de SILICANI que de celle d’Olivier.
@Bernard : 🙂 🙂 🙂
En première approximation je le crois aussi, Bernard 😉
Cela étant dit, quitte à se choisir une ministre pour parler du très haut débit il me semble plus pertinent de choisir Cécile plutôt que Fleur : Ministre de l’égalité des territoires et du logement, voici un intitulé au cœur du sujet.
Buzy-Cazaux, un voisin de Jean-Pierre me semble-t-il, vient d’ailleurs d’écrire à ce sujet un article sobrement titré : Content. Pour ma part je serais content le jour où un dialogue inédit s’établira avec ce ministère.
Heureusement mon petit doigt me dit qu’il y a des chemins carrossables dans cette direction 😉
Je ne sais si l’interview de Fleur PELLERIN par les gens du logiciel libre sur internet a résisté à sa nomination (il y a eu pas mal de nettoyage depuis). Elle permettait d’évaluer la connaissance des problématiques et le point d’où observait notre ministre.
Nous sommes tous des mal-pensants et malveillants. Voir l’édito de Silicani :
http://www.arcep.fr/index.php?id=11321