Pour un projet numérique global

Le récent article signé d’Yves ROME, Président de l’Avicca résume bien la contradiction impossible à tenir dans laquelle nous sommes à ce jour rendue en France dans le domaine de l’aménagement numérique des territoires. Je vous le propose ci-dessous. Par-delà ces aspects « infrastructures » et « aménagement numérique », d’autres fossés numériques semblent se creuser de plus en plus.  Le récent rapport du Centre d’Analyse Stratégique le rappelle. Sans nul doute, vont-ils rapidement imposer de travailler aussi les initiatives liées à la formation. Nous sommes en retard dans bien des domaines. L’Etat est clairement en échec car il n’aura pas réussi dans les dernières années à lancer un projet à la mesure des défis.  Mais notre pays dispose de vrais atouts. Désormais, par-delà les clivages, l’urgence se fait jour. La situation pose ainsi une question aussi simple à exprimer que difficile à traiter : comment faire maintenant d’un problème une chance ?

Travaux de déploiement d’infrastructures, services, innovations technologiques, inventions immatérielles, nouvelles proximités, emplois, services, durabilité… Le chantier numérique est l’un des plus difficiles, des plus concurrentiels et des plus beaux qui se présentent à nous. Face à cet enthousiasmant projet, nombre sont ceux qui en appellent à une (r)évolution des pratiques, des modes de gouvernance, des modalités de formation, de travail ou des services. Le numérique est enthousiasmant car transversal et moteur. Il est l’une des clefs pour ouvrir les mondes à venir.

Et face à cette révolution, que se passe-t-il en France aujourd’hui ? Où est la vision ? Où est le grand projet national public ? Qui a les clefs du chantier ? Où est l’ambition ?… Côté infrastructures, la puissance publique nationale a décidé de ne rien faire tant que le marché n’aura pas décidé. Les Collectivités territoriales ont vu la règle corseté leurs marges de manoeuvre. Côté formation, les initiatives restent finalement l’exception. Côté opérations, la mine du cuivre va bien et vous remercie…

Le temps ne fait décidément rien à l’affaire.

AVICCA : Très haut débit : passer du « volet B » au « plan B »

Les mesures d’aides de l’Etat pour passer au Très haut débit sont bienvenues, tant la France, comme l’Union européenne en général, est en train de prendre du retard sur les pays les plus avancés. Mais elles s’inscrivent dans un cadre qui les fera buter sur trois problèmes rédhibitoires  :

- l’action publique est subordonnée à l’action privée, alors même que le modèle économique des opérateurs pour assurer cette mutation très gourmande en capitaux n’est pas assuré (constat partagé par la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication) (1) ;
- la réglementation n’impose pas une couverture des territoires concernés, ce qui engendre surcoûts, complexité et inégalités de traitement ;
- la marge de manœuvre financière des collectivités, appelées à combler les trous avec une aide minoritaire de l’Etat, s’est dramatiquement réduite.

Aussi, les volets A, B et C du Programme national Très haut débit ne sont pas à la hauteur des défis  : c’est un véritable « plan B » qu’il faut élaborer et mettre sur pied.

Depuis plusieurs années l’Etat a ponctionné les opérateurs pour boucler son budget (contribution au financement des industries de programme, financement de l’audiovisuel public, augmentation de la TVA…). La somme prélevée chaque année est largement supérieure au total des subventions du Programme national, qui seront étalées sur plusieurs années. L’Etat, actionnaire de France Télécom, en reçoit également des dividendes substantiels. D’un côté, il autorise ces opérateurs à sélectionner les zones les plus rentables, par commune, par quartier, et même par immeuble  ; on y déploie même plusieurs réseaux en parallèle. Et de l’autre, les collectivités sont appelées à la rescousse pour combler les trous. Bref, un opérateur privé est une vache à lait pour le budget de l’Etat, et qui fait, si l’on peut dire, de l’écrémage au détriment du budget des collectivités.

Une récente analyse a montré l’ampleur des coûts des transferts de compétence de l’Etat, non compensés pour les départements (2). Le Très haut débit apparaît comme une nouvelle charge, tout aussi incontournable que les dépenses sociales  : ne pas aménager son territoire en Très haut débit, c’est le condamner à la marginalisation.

C’est donc un véritable « plan B » qu’il faut mettre sur pied  :

- une priorité au déploiement de réseaux d’initiative publique, parce que celle-ci porte l’intérêt général  : péréquation entre les territoires, hiérarchisation des cibles locales, à commencer par les communes et quartiers mal desservis en haut débit, les professionnels, les services publics ;
- une ouverture de ces réseaux à tous les opérateurs et offreurs de services, dans des conditions non discriminatoires, à un tarif de location voisin du haut débit ou via du co-investissement ;
- une législation qui oblige à la couverture intégrale des zones fibrée ;
- un transfert des infrastructures de France Telecom vers des entités publiques, et une migration programmée des abonnés, avec une juste indemnisation de l’opérateur et une concertation sociale ;
- un financement majoritaire de ces nouveaux réseaux via une contribution de service public, perçue principalement auprès des abonnés aux réseaux de communications électroniques (3).

Paris, le 27 avril 2011
Yves Rome
Président de l’AVICCA

4 commentaires sur “Pour un projet numérique global

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  1. Comme disait ma Grand-Mère, tout ça commence légèrement à me courir sur le haricot. Tout le monde parle de co-financement, mais personne ne parle de co-financement (ou mutualisation) par (avec) d’autres opérateurs que les opérateurs télécoms. Tout le monde réfléchit « P&T ». Quid de l’Eau, Gaz, et Eléctricité ? Pourquoi ne pas co-construire avec des opérateurs de services non-Télécoms ?
    Avant de démarrer sur la DSP92, j’avais engagé une réflexion auprès de Suez, sur l’opportunité de co-financer les réseaux optiques en zones rurales dans le cadre de la modernisation des réseaux de distribution et d’assainissement de l’eau…

    Je dois être trop con, quelque part.

  2. Un autre truc qui me gonfle vilain, comme disait ma Grande-Tante (celle qui élevait des pigeons et servait le Champagne dès 10h00 du matin): tout le monde parle toujours des emplois (éventuellement) créés PAR la mise à disposition de tuyaux THD, mais PERSONNE ne parle jamais des emplois NECESSAIREMENT à créer pour CONSTRUIRE les réseaux THD. Qui se chiffrent par dizaines de milliers. Soit presqu’autant de chômeurs en moins et de création de valeurs en plus.

    La meilleure preuve de cette ignorance, réelle ou feinte : aucune réaction vraiment forte à la décision des instances gouvernementales de favoriser la couverture THD via Satellite dans les zones rurales…

  3. Je comprends d’autant l’énervement de Marc que, depuis des décennies, les décideurs bassinent les acteurs de la prétendue rationalité qui préside aux décisions en la matière. En pratique, la règle du jeu (ce qu’acceptent les « propriétaires » de réseaux au fur et à mesure que progressent les techniques) est tout à fait bidon, relève de la folie cupide, pas de la rationalité : chaque fois qu’un acteur propose un montage possible afin d’utiliser internet comme accès au potentiel développement local des connaissances et de l’info, il y a toujours une paille en croix qui interdirait la possibilité découverte. Le plus tristounet me paraît que les difficultés, le plus souvent nées de l’incohérence des domaines de compétences nécessaires à la mise en valeur du réseau mondial, soient soulevées par les acteurs de base. Exemples : (1) il n’est pas possible de prétendre, en même temps, que les connaissances sont un bien commun et que ceux qui en détienne un chemin d’accès doivent recevoir une importante rémunération ; (2) il n’est pas possible de prétendre, en même temps, que la mise en valeur du stock de connaissances mondiale exige des hauts débits symétriques et d’accepter que les flux de gavage (télé et pub) saturent les réseaux de transport.

    Nous supportons un système, pervers et dystordu, de plus en plus complexe qui vise le détournement à son profit d’une partie du PIB ; les spécialistes parlent de 3% du PIB en France mais aussi d’environ 7% au Japon. Mutatis mutandis, ce qui est en train de se passer dans l’exploitation d’internet est une réplique, avec les mêmes ingrédients, de la crise financière mondiale de 2007.

    Pour répondre précisément aux questions de Marc, nous devons prendre conscience que nous avons été incapables, tout les alternatifs ensemble, de mettre au point un système d’exploitation (je ne dis pas un modèle économique), réplicable ad libitum, de la ressource internet au profit du développement local (ils en existent peut-être mais je ne connais pas ; s’il vous plaît de ne pas parler de web2.0).

    J’étais pourtant persuadé (je n’étais pas seul), aux alentours des années 1990, qu’internet ferait émerger un processus de développement local paisible et au potentiel illimité ; la mise au point d’IP nous avait renforcé dans cette croyance.

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