Dans deux précédents ouvrages, « Territoires apprenants » et « Le lien plus que le lieu », je tentais de mettre à plat quelques-unes des pistes et des questions autour desquelles s’esquissaient la construction des futures politiques locales. Le second ouvrage, écrit aux détours de la bagarre du projet de construction de la plaque fibre optique de Pau Pyrénées, est resté sans véritable distribution. Le monde s’en est remis. Les exemples alors étudiés sont désormais datés ; leur valeur éventuelle n’est plus qu’historique. Les questions examinées en revanche paraissent toujours, peut-être plus que jamais, d’actualité.
L’ouvrage reprenait des chemins censés mener vers une géographie de la complexité, une géographie du changement organisée autour de l’évolution des supports et des modes organisateurs de l’échange grâce au partage de lieux, de valeurs ou de supports géographiques. Un village, un paysage, un objet patrimonial, un troquet, un quartier, une ville, une vallée, un projet (…) l’actualité est remplie de ces milliers de causes qui réunissent, dans des proximités changeantes, des groupes de citoyens, d’entreprises ou d’acteurs pour ou contre « quelque chose ». En nos temps de crise affirmée jusqu’à l’excès du « lien social », il s’agissait de comprendre comment consolider ces échanges à « supports géographiques flous» pour créer de nouvelles marges de manœuvre, d’action ou de réaction. Ces lignes étaient d’ailleurs amusantes à écrire au moment des discussions à Très Haut Débit, par exemple à Pau avec les syndics pour disposer des autorisations afin de déployer de l’optique en vertical… Théories, mise en expérimentations, retours critiques, le Web et les réseaux THD faisaient alors éprouvettes. C’est toujours le cas.
Sociétés locales et TIC, proximités et organisations en réseau, développement numérique territorial et réseau d’initiative publique, quelle que soient les termes que l’on retienne, et finalement peu importe la mode sémantique du moment, je crois qu’il existe une forte corrélation entre TIC et développement local. Ce lien serait avéré par quelques mots balises : connaissances, réseaux, interactivité, partage, organisation, apprentissage, responsabilité, attractivité… Il cheminerait vers un même objectif : renforcer les capacités d’actions en organisant une série de processus de coopération et d’échanges autour de projets ou d’outils communs. Bien sûr tout cela n’est qu’hypothèse mais c’est cette hypothèse qui anime la plupart des projets de RIP étudiés et qui confère une valeur toute particulière à des infrastructures THD à fort effet d’entrainement.
Réseaux THD partagés et production d’organisations de proximité
La capacité des projets THD « locaux » à consolider des ressources individuelles et collectives ou à susciter de nouvelles solidarités paraît toutefois peu ou pas prise en compte. Obnubilés par les questions techniques et financières courts termes, inspirés par la force des lobbies, les débats numériques nationaux en restent souvent à l’écume des objectifs. L’un des derniers billets d’Alain Baritault ou le discours de Gabrielle Gauthey sur le retard de la France en matière de THD le rappellent. Cette capacité « ressource » oblige pourtant à remettre l’usager, le client, le citoyen, la collectivité, et le renforcement de leurs moyens d’actions, au centre du dispositif et des décisions.
Je défends sans ambiguïté cette posture ; elle organise d’ailleurs ce blog et mes travaux dont numericuss rend partiellement compte. Les réseaux THD publics, neutres et ouverts constituent de formidables projets investissements d’avenirs. La nature des objets géographiques supports de l’action locale se transforme rapidement et ces réseaux semblent pouvoir participer favorablement de ce mouvement. Né par le territoire, enrichi de la métrique des lieux et de celle du réseau, le développement territorial doit désormais faire l’apprentissage du pluriel. Pour y parvenir, il lui faut inventer ou moderniser les outils à même de rendre compte de cette complexité. Aucune des métriques actuelles de la géographie et des sciences politiques ne semblent convenir ! Le territoire craque de toute part ; le concept de lieu s’applique de manière bien trop limitée pour faire sens ; le réseau paraît bien séduisant mais reste toutefois lourdement handicapé par l’absence d’un outil politique de gouvernement… Tout se passe comme si finalement c’était la pertinence même de l’objet géographique, en particulier de l’objet fini, qui faisait aujourd’hui question, jusque dans les urnes d’ailleurs.
Travailler les limites puisque ce sont elles qui nous travaillent
Mobilité grandissante, diversité des espaces de vie et des inscriptions spatiales, nos singuliers vécus géographiques semblent désormais rendre caduques toute entrée par la limite. Travailler les limites puisque ce sont elles qui nous travaillent, cette formule de J. VIARD ne semble jamais avoir été autant d’actualité. L’enjeu, pour le développement local ne consiste plus en effet à fixer ou à justifier des limites comme l’a souvent fait la Géographie Vidalienne. Il semble au contraire qu’il existe, à travers le « chantier des limites », un véritable travail de refondation. L’immense intérêt de l’entrée par les réseaux THD se situe notamment là. Ces nouveaux objets géographiques et politiques ne sont plus fondés sur la limite mais sur leur pouvoir de mise en relation, sur leur capacité à stimuler des interactions entre individus. Ils échappent en partie à l’espace géographique mais en même temps le nourrissent. Justifier la limite en la dépassant… amusant projet ! C’est pour ces raisons notamment que le chantier du THD paraît réellement stratégique pour notre pays champion du monde du mille-feuille territorial. Numericuss proposera donc, comme cela a été esquissé via l’interview de Bernard Pecqueur, un éclairage sur les travaux menés en ce sens. A suivre.
VERS UNE GÉOGRAPHIE DU LIEN
C’est intéressant parce que (1) cela fait sens ; (2) il est assez simple de constater que l’univers se compose de deux éléments : les objets et leurs relations, qu’empilent en couches successives les siècles de siècles ; (3) ce sont les relations qui, à chaque niveau, donnent sens et organisent le champ du possible ; (4) la réalité du territoire repose sur la singularité (de toutes ses instances) et sur sa robustesse ; (5) lorsque nous parlons de liens, nous parlons de liens internes autant que de liens externes ; (6) lorsque nous parlons du potentiel développement local d’internet, nous parlons de la ressource mondiale d’informations et de connaissances mais aussi d’une relation extrêmement faible que les acteurs locaux restent incapables de qualifier (pas plus d’ailleurs que les théoriciens du réseau). Le point commun des territoires qui se développent (je ne parle pas de croissance) est d’avoir su faire converger les stratégies individuelles en une stratégie commune. Cela nous a paru une évidence que la relation internet locale était le meilleur outil (doux) que les hommes aient mis au point afin de « faire converger » les stratégies individuelles ; mais aussi que le stock de connaissances mondiales représentait une ressource bon marché capable de booster tous les systèmes d’exploitation locaux et l’économie de rez-de-chaussée. Jean-Pierre nous rappelle qu’il s’agit d’hypothèses veuves (et dont les enfants ont mal tourné).
DEBAT AVICCA/ARCEP
Ce qui m’impressionne le plus dans ce faux dialogue (voire ce dialogue de faux), ce sont (1) les hauts niveaux techniques des dits ou écrits dans chacune de leur logique ; (2) les faibles niveaux opérationnels vrais des conclusions des mêmes dits et écrits pour les acteurs locaux : même si Paris est la ville mondiale a la population la plus dense, il n’empêche que la grosse majorité des abonnés de chefs-lieux de canton peuvent être fibrés avec une moyenne de 20 mètres de fibre, comme à Paris. Que ni l’AVICCA ni l’ARCEP n’aient su proclamer une doctrine du possible et du nécessaire aux acteurs locaux en matière d’accès à l’immensité de la ressource internet en dit long sur la dégradation du contrat social en France. Je ne souhaite pas perdre mon temps à défendre le THD afin de disposer de 150 chaînes télés ou les investissements d’avenir de FT dans MEDIAPART.
TRAVAILLER LES LIMITES
Hervé GUMUCHIAN m’avait entrepris, en 2004, sur l’effet d’orée (c’est poétique comme forme) alors que je travaillais sur un territoire à forte identité mais aux frontières de toute éternité d’un ensemble de territoires politiques bien définis (l’orée, c’est là où sortent les cèpes). Nous avons parlé d’interface mais aussi du processus décrit par Fernand BRAUDEL (dans Méditerranée, il me semble) de l’apparition de la création en périphérie, nouveauté que le centre se bornait à intégrer et à diffuser. La formulation de Jean VIARD des questions qui nous agitaient apparaît d’un singulière force, voire d’une grande violence ; peut-être parce qu’internet nous met en position paradoxale en ce qui concerne le centre et la périphérie des systèmes géographiques locaux. En tout les cas, l’application dominante d’internet : le web, nous situe chacun clairement au centre du monde, voix clamant dans le désert. Le moyen de sortir de ce paradoxe est de représenter internet comme une sphère (la noosphère de Pierre Theilard de Chardin) sur laquelle chaque système géographique local est au centre lorsqu’il crie et à la périphérie lorsqu’il crée. C’est le moment d’appeler à la rescousse la notion de puissance d’un point en géométrie (et le Traité des Coniques de Blaise PASCAL, arrivé au même moment du cursus lycéen). Je propose de travailler à la puissance de la sous-boucle locale.
Plus ce poème de René Char : « Nous sommes des passants appliqués à passer, donc à jeter le trouble, à infliger notre chaleur, à dire notre exubérance. Voilà pourquoi nous intervenons ! Voilà pourquoi nous sommes intempestifs et insolite. »
Je vous soumets cette pensée d’Emmanuel TODD, qui vient de sortir, optimiste : » Tout ce que l’on peut dire, si l’Histoire est celle du développement de l’esprit humain, elle nous promet du nouveau, pour le meilleur et pour le pire. »
La puissance de la boucle ou de la sous-boucle versus la capacité à consolider / moderniser / transformer les « sociétés locales » à réguler, servir, agir, solidariser, coopérer (…), schématiquement formulé comme cela, sans doute pourrait-on là apporter quelques utiles contributions. Qu’en penses – tu ?
Je n’en pense que du bien. Le premier échelon, c’est montrer que tout développement local repose sur la convergence des stratégies individuelles en stratégie collective ; quelle que soit le processus de convergence choisi.
En matière de convergence de stratégie locale internet, l’exemple du syndicat intercommunal de l’Ain m’apparaît comme un exemple fort.