L’idée de créer un nouveau service universel remonte à février 2023. Elle était esquissée dans cet article. Sa finalité à grands traits ? Enrichir le service universel des télécommunications d’une plateforme de solutions dédiées transitions ; et le pluriel n’est pas fortuit. Un projet de ce type n’a jamais été aussi nécessaire ! Toutefois la dureté de l’époque incite à aller plus loin. Les preuves abondent : il faut définitivement réussir à concilier fin de mois, tensions budgétaires, sécurité, adaptations aux limites planétaires, souveraineté et invention des métiers de demain, de la culture à la chimie en passant par les services publics. Dans ce second article, je suggère par conséquent d’élargir le périmètre de ce possible nouveau service universel ! L’objectif serait de donner accès, pour tous et partout, à une plateforme de solutions personnalisées à même de concilier simplification de l’accès aux services, locaux et en ligne, pouvoir de faire, notamment en matière de décarbonation, et pouvoir d’achat. Il prendrait la forme d’une plateforme interopérable et personnalisée qui agrégerait à la fois des services existants comme des solutions nouvelles ou en phase de test pour inventer notre numérique européen. Ce serait donc une stratégie qui déciderait de ne plus copier, sans grand succès d’ailleurs, les Big Tech, mais d’inventer notre propre route. Son but ? Contribuer à faire de la France et de l’Europe le continent des modèles serviciels, des solutions, des industries, des emplois et les modes de vie qui acceptent la notion de limites planétaires. Ce second article analyse quelques-unes des expériences de ce type dans le monde. Elles montrent que le public adhère à ce type de plateformes si elles sont simples et à valeur ajoutée. Cet article précise également quelques-unes des conditions technologiques à envisager. Il aborde enfin plusieurs pistes pour débattre des questions juridiques et des modèles économiques.
Il est nécessaire en premier lieu de rappeler ce qu’est un service universel, au sens de l’Union Européenne, et pourquoi celui proposé pourrait bien correspondre à cette définition. Le concept de service universel définit un ensemble d’exigences d’intérêt général, considérés comme essentiels, auxquels tous les consommateurs de l’Union Européenne ont accès à un prix abordable. Les activités des télécommunications ou de la poste font partie par exemple de ces services.
L’idée en bref


Pourquoi la création d’une plateforme dédiée transitions et fin de mois pourrait-elle correspondre à un service universel ?
Quatre raisons au moins justifient cette proposition.
Premièrement parce ce que doter le plus grand nombre possible d’entre-nous de moyens simples et efficaces pour s’adapter à la réalité des limites planétaires constitue chaque jour davantage un droit vital. Le but est donc bien que tout le monde puisse bénéficier de ce droit. Pour y parvenir, l’option service universel présente bien des vertus : elle limite les inégalités ; elle favorise les solutions de type péréquation ; elle s’inscrit dans le temps long indispensables à l’invention de nos bifurcations.
Ensuite, parce que le parcours de tous ceux qui cherchent aujourd’hui à réduire leurs émissions ou à augmenter leur pouvoir de faire est pire qu’une jungle : autant de connecteurs que de solutions, la nécessité de dire 100 fois qui nous sommes (…), l’expérience est d’une si piètre qualité qu’elle décourage l’immense majorité d’entre-nous. L’urgence est à la mutualisation, à l’agrégation et à la simplification. La solution service universel, telle que proposée, permet de créer pour chacun de nous, avec notre consentement, un compte en mode « dîtes le nous une fois » ; il permet d’accéder simplement à toutes les informations et à toutes les solutions validées par la plateforme.
Troisièmement, parce que cette approche inspirée des communs, compris comme des ressources partagées et cogouvernées, nous replace, nous personnes morales et personnes physiques, au centre des jeux. Elle incite notamment chacun d’entre-nous à devenir progressivement des acteurs quotidiennement engagés dans l’invention de nos modes de vie de demain ; elle facilite nos parcours pour y parvenir.
Enfin, parce que l’utilisation de l’outil service universel permet de s’appuyer très rapidement sur une base d’usagers de plusieurs millions de personnes afin de donner toute sa force, sans passer par des algorithmes fondés sur la publicité, à cette nouvelle plateforme de type économie des liens.
A la question donc : est-ce que ce nouveau service universel relève d’un enjeu vital, il n’est pas exagéré de répondre par l’affirmative !
Dans ce qui suit, cet article se concentre le plus souvent sur le volet transitions ; c’est en effet sans doute d’un des domaines parmi les plus délicat en ces temps de backlash écologique. Toutefois, la plupart des observations suivantes s’appliquent à l’ensemble des domaines de cette plateforme. Je vous remercie donc de ne pas interpréter ce zoom transitions comme la volonté de réduire ce possible nouveau service universel à cette seule composante. Je suis au contraire de plus en plus persuadé que le périmètre élargi résumé plus haut est bien la bonne option.
Des exemples de plateforme de services facilitant la transition écologique dans le monde
Plusieurs pays ont déjà déployé des initiatives visant à accompagner citoyens et entreprises dans la transition écologique et énergétique. Ces services intègrent divers volets (mobilité durable, efficacité énergétique, consommation responsable…) au sein d’une même plateforme.
En Chine
La Chine a par exemple lancé en 2016 le programme Ant Forest sous l’impulsion de Ant Group (Alipay). Il enregistre les actions écoresponsables des utilisateurs comme les trajets à pied ou l’usage des transports en commun. Il les récompense par des points verts échangeables contre la plantation d’arbres. En 2020, il comptait déjà plus de 550 millions d’utilisateurs. À ce jour, le programme aurait permis de planter plus de 200 millions d’arbres en Chine.
Au-delà des initiatives privées, les autorités locales chinoises expérimentent également des « comptes carbone personnels ». Dans son application de mobilité, Pékin a par exemple intégré un système de crédits carbone. Depuis 2020, la campagne MaaS Travel, Green Life permet aux habitants de gagner automatiquement des crédits en substituant la voiture au vélo, au métro ou au bus. Plus de 3,5 millions d’usagers ont participé, contribuant à éviter près de 400 000 tonnes de gaz à effet de serre. Ces crédits peuvent être échangés contre des réductions sur les abonnements de transport public ou des bons d’achat ; ils sont également parfois donnés à des associations écologiques.
D’autres métropoles chinoises ont adopté des approches similaires : à Shanghai, l’application du métro Metro Daduhui génère des crédits carbone à chaque validation de titre de transport. Ils peuvent ensuite être convertis en monnaie numérique (e-yuan). À Shenzhen, une application lancée par la ville et le fournisseur d’électricité permet à environ 800 000 foyers de tenir un compte carbone domestique affichant leur réduction quotidienne d’émissions, avec à la clé des titres de reconnaissance (par exemple « expert en réduction carbone ») et des incitations financières.
Ces exemples illustrent l’impact d’un service unifié qui récompense les actions de décarbonation en s’appuyant sur un écosystème public-privé.
En Europe
En Europe, des initiatives à plus petite échelle préfigurent elles aussi ce possible service universel. La ville de Lahti en Finlande a ainsi mis en place, dans le cadre du projet CitiCAP, le premier système public de score de carbone personnel. Une application mobile attribue à chaque citoyen un budget carbone hebdomadaire pour ses déplacements. Les économies réalisées en choisissant des modes de transport doux (vélo, covoiturage, bus…) se traduisent en crédits échangeables sur un marché virtuel contre des réductions sur des produits ou services locaux. Chaque usager dispose de récompenses financières s’il reste en dessous de son quota d’émission. Lancé en 2019, CitiCAP a servi de laboratoire grandeur nature pour tester l’adhésion du public.
L’Union européenne encourage la création de guichets uniques intégrant divers services pour la transition énergétique. Il s’agit souvent de plateformes locales qui rassemblent conseils personnalisés, aides financières et accompagnement technique, par exemple pour la rénovation énergétique des bâtiments. Un appel à projets européen récent encourage d’ailleurs ces solutions, par exemple pour la rénovation bas-carbone des bâtiments et des entreprises. Aux Pays-Bas, le portail Milieu Centraal offre aux particuliers une information centralisée sur les choix énergétiques et de consommation durable, du logement à l’alimentation. En France la plateforme publique “Mission Transition Écologique” agrège les aides et diagnostics pour orienter les TPE-PME vers des solutions écologiques tout en améliorant leur performance économique.
Ces expériences européennes préfigurent elles aussi la convergence de services qui pourraient à terme être fédérés dans un service universel plus large.
En Amérique du Nord
Aux États-Unis, avant Trump tout au moins, et au Canada, on observe plutôt une consolidation progressive des services d’information et des incitations financières liées à la transition. Par exemple, suite à l’Inflation Reduction Act de 2022, des outils en ligne de type plateforme “tout-en-un” ont vu le jour pour guider les particuliers et entreprises à travers les différentes mesures. Des organisations comme Rewiring America ont développé un simulateur personnalisé où l’usager saisit quelques données (code postal, revenus, logement…) pour découvrir les aides financières et les économies réalisables en électrifiant son domicile et son véhicule. De même, plusieurs États américains proposent désormais des portails web intégrés regroupant les programmes d’efficacité énergétique, les subventions dédiées aux énergies renouvelables et les options de compensation carbone accessibles localement. Le but est bien de simplifier le parcours utilisateur en unifiant des informations autrefois dispersées.
Au Canada, plusieurs portails gouvernementaux combinent calculateur d’empreinte carbone, conseils pratiques et orientation vers les subventions fédérales comme provinciales. Ils cherchent à la fois à sensibiliser et à inciter à franchir le pas pour agir.
Ces exemples nord-américains montrent ainsi l’importance de proposer une expérience utilisateur personnalisée intégrant les dispositifs fiscaux et les incitations qui encouragent la transition écologique.
On le voit, qu’il s’agisse d’applications à grande échelle en Asie, de guichets uniques locaux en Europe ou de portails informatifs en Amérique du Nord, nombre d’exemples existent. Ils convergent tous vers un même objectif : proposer sur une plateforme unifiée plusieurs leviers de décarbonation (mobilité, énergie, consommation, compensation…) afin de faciliter et d’accélérer la transition écologique pour tous les publics. Les résultats de ces projets sont souvent excellents.
Quelles technologies pour développer une plateforme interopérable et personnalisée ?
La mise en place d’une plateforme de transition écologique, comme celle envisagée dans cette proposition de service universel, nécessite un socle technologique robuste, modulable et ouvert. Le but est que divers acteurs (pouvoirs publics, entreprises, associations…) puissent s’y greffer facilement pour proposer ou pour tester leurs solutions. L’analyse des solutions et des réalisations déjà existantes dans le monde montre que ces technologies existent pour assurer, dans de bonnes conditions de fluidité et de sécurité, l’interopérabilité et la personnalisation de telles plateformes.
Une plateforme ouverte
La plateforme pourrait être construite sur une architecture à microservices, exposant des API ouvertes pour que des services tiers puissent s’y connecter. Chaque brique (transports, énergie domestique, achats responsables…) fonctionnerait comme un module pouvant échanger des données via des standards communs. Des pays pionniers comme l’Estonie ont démontré l’efficacité de telles solutions d’échange de données entre organisations. Dans ce pays, X-Road permet, depuis de nombreuses années, à différentes bases de données publiques et privées de communiquer de façon sécurisée.
En s’inspirant de ces principes, la plateforme de transition serait donc en mesure d’agréger des informations provenant de multiples sources (par exemple, les consommations énergétiques d’un foyer via l’API du fournisseur d’électricité, les trajets via une application de mobilité…) et de les restituer de manière simple et personnalisée à l’usager.
L’utilisation de standards ouverts déjà existants serait un atout. Par exemple, le standard Green Button, déployé en Amérique du Nord, permet de récupérer facilement ses données de consommation électrique auprès des fournisseurs d’énergie. Des protocoles ouverts existent également pour les données de mobilité (par exemple GTFS pour les transports en commun, OCPI/OCPP pour les bornes de recharge électrique). En adoptant ces standards, la plateforme pourrait s’interfacer rapidement avec les systèmes en place chez une ensemble de partenaires, évitant ainsi de repartir de zéro.
Une solide identité numérique
Pour offrir une expérience personnalisée, il est toutefois crucial de pouvoir authentifier l’usager de manière fiable et de récupérer, avec son consentement explicite, les informations utiles le concernant. L’utilisation d’une véritable identité numérique unique serait un plus. Elle permettrait aux citoyens et aux entreprises de se connecter à ce service universel et d’autoriser l’accès à certaines données administratives.
L’usager pourrait permettre à la plateforme de connaître, par exemple, son profil fiscal et patrimonial (revenu, composition du foyer, logement déclaré, véhicule immatriculé…) et de le renseigner, sous des conditions proches de celles utilisées en Estonie, aux opérateurs du service universel qui en ont besoin pour adapter leurs solutions. Ces données alimenteraient une personnalisation fine. Par exemple :
- un ménage modeste se verrait proposer les subventions et prêts verts auxquels il est éligible,
- un propriétaire d’un logement ancien verrait remonter des conseils sur l’isolation ou la pompe à chaleur,
- un artisan ou une PME pourrait être orienté(e) vers des crédits d’impôt spécifiques ou des diagnostics adaptés à son secteur.
Techniquement, ceci implique des web services sécurisés entre la plateforme et les bases de données de l’administration nationale et locale.
Parce que ce service manipulerait donc des données sensibles, la sécurité est un facteur clé. Le recours à l’identification forte (authentification à deux facteurs, certificats numériques) et le chiffrement de bout en bout des échanges sont indispensables. Des technologies comme la blockchain pourraient même être envisagées pour certains volets, par exemple en matière de traçabilité des crédits carbone ou de gestion des certificats d’économie d’énergie générés. Néanmoins, cela doit être mis en balance avec la complexité et la consommation énergétique d’une telle solution.
Une IA associé à ce service universel ?
Des IA, les plus sobres possibles, peuvent grandement aider à personnaliser et à fluidifier plus encore l’expérience, notamment en passant par des échanges vocaux. On pourrait par exemple recourir à des assistants virtuels intelligents intégrés à la plateforme pour guider chaque usager dans ses démarches, répondre à ses questions 24/7 et fournir un accompagnement pédagogique personnalisé. Les administrations fiscales explorent d’ailleurs déjà l’usage de l’IA pour des interactions sur mesure. Il faut pour cela que le cadre légal autorise ces interconnexions de données tout en garantissant la confidentialité (principe du privacy by design).
Une solution IA permettrait aussi d’analyser la masse des données anonymisées pour détecter par exemple quelles actions ont le plus d’impact, ou encore les points de parcours pour lesquels les usagers éprouvent des difficultés. Les IA pourraient bien sûr aussi analyser les données de l’usager afin de lui proposer automatiquement un parcours de transition pertinent, par exemple avec des simulateurs préremplis ou encore des alertes sur les prochaines étapes.
Un écosystème de partenaires publics et privés, un app store dédié transitions
Ce service universel doit donc être ouvert aux partenariats, à la R&D et aux tests. Des fournisseurs externes doivent pouvoir proposer leurs solutions. Par exemple :
- une collectivité locale doit pouvoir “brancher” son système de billettique de transports, ses boucles d’autoconsommation photovoltaïque collectives, ou son programme dédié réduction et valorisation des déchets,
- une solution, publique ou privée, dédiée covoiturage pourrait proposer ses solutions,
- une startup pourrait ajouter un module de calcul d’empreinte carbone des achats en connectant les relevés bancaires,
- un groupe d’agriculteurs aurait la possibilité de brancher sa plateforme de vente en circuits courts,
- les organisations culturelles et sportives proches pourraient faciliter les inscriptions à leurs offres,
- une entreprise pourrait intégrer son programme de compensation carbone certifiée pour que l’usager puisse y souscrire en quelques clics.
Techniquement, cela revient donc bien à concevoir la plateforme comme un hub interopérable auquel chaque partenaire se connecte via une API en se conformant à un ensemble de règles communes (formats de données, protocoles d’authentification…). Des technologies comme les webhooks ou les microservices conteneurisés faciliteraient l’ajout de nouvelles fonctionnalités par des tiers sans perturber le noyau du système.
Pourquoi même d’ailleurs ne pas imaginer une “App Store du service universel », où des modules additionnels, développés par des acteurs privés ou publics, et validés par une instance de gouvernance, viendraient s’agréger pour enrichir l’offre de services ? Cela permettrait de faire évoluer en permanence ce service universel : il démarrerait avec quelques fonctionnalités clés, puis en ajouterait d’autres au fil du temps en branchant de nouveaux partenaires.
Une expérience personnalisée, fluide et simple
Grâce à ce socle technologique, le service universel pourrait ainsi offrir une expérience fluide, évolutive et sur mesure. Un citoyen pourrait, sur une même interface, par exemple suivre ses progrès en empreinte carbone, recevoir des recommandations adaptées à sa situation, prendre un abonnement vélo électrique, programmer des travaux aidés, souscrire à un fournisseur d’énergie bas-carbone, compenser ses émissions en soutenant un projet, mutualiser des objets, les faire réparer, et même quitter ses écrans pour trouver plus facilement des occasions de pratiquer du sport, de se cultiver ou de se former ; le tout sans avoir à naviguer entre une multitude de sites différents. De leur côté, les entreprises et collectivités pourraient trouver un canal pour intensifier leurs interactions avec leurs usagers, ce qui accélérerait l’adoption des innovations nécessaires à la transition et à des formes progressives de relocalisation.
Obstacles potentiels et moyens de les surmonter
La mise en œuvre d’un tel service universel à grande échelle se heurte bien entendu à de nombreux obstacles. Ceux-ci dépassent les seules questions technologiques déjà abordées. Les aspects économiques, réglementaires, socioculturels ou politiques sont déterminants. Nous en analysons quelques-uns dans les lignes qui suivent mais nombre de points restent à préciser.
Les questions juridiques ? La protection des données ?
L’un des premiers enjeux est celui de la protection des données personnelles : la plateforme manipulera en effet des données sensibles, soumises au RGPD en Europe. Il faudra donc veiller à la conformité légale et possiblement adapter certaines lois pour autoriser le croisement de données entre administrations (impôts, énergie, transport…).
La création d’un service universel exige en outre une base légale spécifique. Une loi, en conformité avec les règles européennes, devra définir le périmètre de ce service, son fonctionnement ainsi que les obligations des parties prenantes et les droits des citoyens.
Un autre aspect réglementaire concerne la reconnaissance des éventuelles unitéscarbone générées dans la plateforme : si l’on attribue en effet des crédits carbone, comment ceux-ci s’articulent-ils avec le système d’échange de quotas national ou européen ? Sans cadre clair, ils risquent de ne pas avoir de valeur officielle.
Quels modèles économiques et juridiques ?
Le financement de ce service pose sans doute un ensemble de questions au moins aussi sensibles. D’une part, le financement du développement et de l’exploitation d’une telle plateforme sera conséquent : serveurs, maintenance, mises à jour, coût des incitations proposées comme des récompenses financières et des subventions intégrées… Qui paiera ces coûts ? D’autre part, l’accès à ces services pour les usagers (citoyens comme entreprises) sera-t-il complètement ou partiellement gratuit ? En outre, comment le coût des actions de transition elles-mêmes sera-t-il assumé ?
Comment pourrait-on s’y prendre ? Nous nous bornerons ici à esquisser une première série de solutions ; aucune ne semble idéale. Le but se limite à esquisser un premier périmètre des pistes à envisager. A cette fin, nous mettons en discussion cinq premiers principes. Ils permettent aussi de préciser le possible fonctionnement de la plateforme.
Principe 1 – Une plateforme de ce type doit augmenter l’efficacité de l’argent public et privé engagé aujourd’hui pour ce type d’actions. Autrement dit, le premier objectif de ce service universel est d’avoir plus d’effets au quotidien et une capacité supérieure à convertir. Il s’agit bien avant tout d’augmenter les impacts (décarbonation, qualité de vie, relocalisation, accès pour tous et partout…) des services actuels.
Principe 2- La réussite de la plateforme suppose que l’accès à une partie des services de la plateforme soit gratuit pour tous les usagers. Des exemples ? Les services comme le score carbone personnel, l’accès aux modules de réservation pour les mobilités douces, les circuits courts ou encore les événements culturels ou sportifs proches pourrait être gratuit (bien entendu en payant ses places ou ses produits selon les cas). Pour ce volet gratuit, dont le périmètre reste bien à préciser, le statut de service public universel peut justifier un investissement public, complété par des fonds européens ou des contributions d’entreprises bénéficiaires. Ce volet peut également être financé par une logique de “pollueur-payeur”.
Principe 3. La plateforme doit également proposer des services payants (freemium, premium ou encore partenariats) à travers lequel chaque usager peut louer ou acheter des produits, des services et, plus largement, des solutions agrées et certifiées par la plateforme. La plateforme jouerait alors un rôle de type tiers de confiance ; elle validerait la qualité de services et des solutions proposées.
Principe 4 – La plateforme vise aussi à soutenir l’innovation post-carbone dans tous les domaines. Elle devrait donc être ouverte, sous des conditions à préciser, à une série de partenaires publiques et privés, par exemple à des chercheurs pour expérimentations, à des opérations de R&D ou encore à un ensemble d’acteurs innovants pour tests, y compris à des acteurs locaux comme l’association du village ou du quartier. Ce service universel comprendrait donc un volet de type laboratoire vivant qui constituerait l’une des briques essentielles d’invention et de développement des modèles post-carbone.
Principe 5 – Les solutions en ligne seules ne suffisent pas ; elles sont à compléter par des services accessibles en présentiel. Un service seulement en ligne pourrait creuser les fractures numériques : les publics les plus vulnérables risquent encore d’être laissés pour compte, alors même qu’ils sont souvent les plus difficiles à accompagner. Travailler la pédagogie de la plateforme et associer les services à des « moments de formation » est également essentiel. Il semble donc indispensable d’organiser un réseau d’accompagnement humain en parallèle du numérique. Ateliers pratiques, événements, opérations de terrain (par exemple une « Nuit de la thermographie » pour montrer les déperditions de chaleur), sont autant de moyens pour ancrer les changements dans le réel. Le risque de démotivation ou de lassitude est également fort. Pour cela, l’introduction de mécanismes ludiques (défis collectifs entre communes, badges de progression, classements amicaux) peut maintenir l’engagement, à l’image du succès d’Ant Forest qui doit beaucoup au sentiment de récompense ludique et communautaire. Le but reste bien de mettre l’usager au centre afin qu’il perçoive le service non pas comme une injonction de plus, mais comme une opportunité personnelle via le collectif.
Le service doit bien profiter à tous les territoires et aux différentes classes sociales afin de ne pas alimenter, une fois de plus, le narratif d’une transition “pour les riches” opposée aux “oubliés” ; un narratif qui a par exemple nourri la fronde contre la taxe carbone en 2018.
Comment développer et exploiter une telle plateforme ? Qui sera de fait aux commandes ? Le sujet est complexe. Un projet aussi transversal bouscule les organisations établies. Il y aura des réticences institutionnelles et nombre de résistances de tout ordre. Démarrer avec une phase pilote dans quelques zones tests pour prouver l’efficacité peut fournir des arguments concrets aux décideurs pour pérenniser et élargir le programme.
Côté budget, la création d’un service universel est une décision publique mais cela ne veut pas dire que le service est entièrement financé par les acteurs publics. Rappelons que le service universel des communications électroniques en France était pris en charges par les opérateurs eux-mêmes via un mécanisme de financement mutualisé. L’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes) calculait chaque année le coût net supporté par l’opérateur désigné (Orange) pour assurer le service universel.
La logique d’agrégation proposée pour ce nouveau service universel transitions incite d’ailleurs plutôt à envisager un ou des modèles hybrides qui associent des acteurs publics, nationaux comme territoriaux, des groupes, des PME mais aussi des TPE y compris agricoles, sportives et culturelles (associations comprises). L’enjeu est donc de trouver un modèle qui concilie des logiques et des moyens très hétérogènes.
Les solutions classiques sont connues (marché, Délégation de Services Publics ou contrats de performances par exemple) ; d’autres sont sans aucun doute à envisager comme le lancement par exemple d’obligations vertes dédiées au déploiement d’infrastructures de décarbonation (des obligations qu’il faut bien entendu rembourser et rémunérer) ou la mise au point de mécanismes de crédit carbone.
Pour avancer dans ces questions budgétaires, la logique directrice pourrait consister à minimiser la dépendance aux subventions publiques sur le long terme. L’argent public jouerait un rôle de catalyseur initial et de filet de sécurité. C’est indispensable. Mais le fonctionnement courant serait assuré par les revenus du marché (freemium, services premium).
La création d’un service universel dédié transitions est possible
On le voit, nombre de questions demeurent. Toutefois, en étudiant les exemples internationaux, les choix technologiques et les obstacles potentiels, il apparaît que l’invention de ce service universel de transition écologique pourrait être à la fois « à impacts » et réalisable. Des initiatives pionnières, de la Chine à la Finlande, montrent qu’il est possible de combiner décarbonation des transports, électrification des usages, optimisation énergétique, consommation responsable et compensation carbone au sein de dispositifs intégrés. Ils prouvent aussi que le public y répond favorablement lorsque l’offre est claire, simple et incitative.
Bien entendu les obstacles pour y parvenir sont immenses ; cet article ne fait que les effleurer. Il en oublie sûrement d’ailleurs plusieurs. Sont-ils pour autant insurmontables ? Chacun jugera.
Au final de cette nouvelle étape d’exploration, le chantier confirme pourtant son intérêt. En simplifiant le passage à l’action pour des millions de personnes et d’entreprises, ce premier service universel de l’ère post-carbone qui s’annonce pourrait devenir un puissant catalyseur des transitions écologiques et socio-économiques. Il incarnerait par ailleurs le retour d’une « puissance publique investisseur avisé » via une approche où elle jouerait à nouveau le rôle de chef d’orchestre en facilitant la mise en convergence des initiatives privées de toute nature ; un rôle sans lequel rien n’est possible dans ces domaines. En relevant ce défi, la France pourrait ainsi non seulement accélérer ses propres transitions, mais également servir de modèle reproductible à l’échelle internationale. Elle pourrait également contribuer à inventer les entreprises, les emplois, les liens, les fonctions et les modèles de vie et d’affaire de demain.
