Vous adorez voyager ? Vous vous demandez comment continuer à le faire tout en réduisant vos émissions de gaz à effet de serre ? Nous sommes nombreux à nous poser la même question ! Nous sommes toutefois presque aussi nombreux à en rester à la question et à continuer à prendre l’avion pour un week-end ou pour une réunion de quelques heures à l’autre bout du pays… On verra plus tard ! Procrastination, je dirais ton nom. Mais Trump et les siens passeront vite et le climat pourrait bien nous rappeler à l’ordre. Cet article rappelle donc tout d’abord les solutions actuellement en débat pour concilier voyage et objectif zéro carbone en 2050 ; il les complète ensuite en explorant une autre voie. Cette voie, c’est celle des voyages longs et presque sans avions. Elle est illustrée par l’interview de Caroline Taxil qui revient de Nouvelle-Zélande, presque, sans avion ou, plus exactement, sans trop d’avions… Bien entendu, la « voie Caroline » peut sembler exclusive tant elle demande notamment du temps ; elle est donc complétée par quelques pistes complémentaires plus à notre portée.
Continuer à voyager tout en réussissant à réduire ses émissions pour tendre vers l’objectif zéro carbone en 2050, tel est le défi ! On a connu des défis plus simples non ? Pour y parvenir, les débats actuels tournent schématiquement autour de trois principales solutions.
Les premiers pensent que l’on peut compenser ses déplacements. Les offres sont nombreuses ; les critiques plus nombreuses encore. Nous en reparlerons sans doute.
D’autres misent sur la technologie, notamment sur des carburants d’aviation produits à partir de biomasses. Le dernier rapport « Destination 2050 » présenté le 4 février 2025 par les principaux acteurs du domaine (compagnies aériennes, aéroports ou encore industriels de l’aéronautique) conclue que cela est techniquement possible. Entendons par conséquent l’hypothèse. Mais, pour y parvenir, la facture s’envole. Elle pourrait désormais dépasser 2400 milliards d’euros, soit, comme le rappelle cet article des Echos, 510 milliards d’euros de plus que la précédente estimation de 2021. Le syndrome EPR n’est pas loin… Pour y parvenir, le diagnostic est sans appel : le prix des billets d’avion va s’envoler. Tous les modèles présentés dans ce rapport misent donc sur une baisse de la demande.
Une troisième solution, plus radicale, consiste justement à réduire le droit à prendre l’avion. Jean-Marc Jancovici a proposé de ne pouvoir réaliser que 4 voyages aériens dans sa vie. Les plus engagés ont même décidé de ne plus prendre l’avion. C’est le célèbre flygskam en suédois, ce qui se traduit par « honte de voler ». La piste explorée dans cet article s’inscrit dans ces logiques mais avec une posture différente.
Des voyages presque sans avion mais plus intenses, plus expérientiels ?
Cette piste c’est celle des voyages longs, de ces périples dans lesquels décarbonation rime avec la construction de l’un des souvenirs les plus intenses d’une vie. J’adore cette solution car, comme je l’explore dans la chaine YouTube Transitions Actions que je viens de lancer, elle nous suggère d’inventer une transition qui ne soit pas une punition mais une récompense. Une récompense car un tel voyage n’a plus grand-chose à voir avec notre tourisme d’aujourd’hui, il devient une véritable expérience de découverte à la fois de soi, des autres et du monde.
Cette piste nous invite pour cela à revenir aux origines du tourisme : elle réinvente ces Grands Tours qui étaient une pratique courante voici quelques siècles, notamment pour des jeunes hommes de l’élite britannique. Paris, Rome, Florence, Venise, la Grèce, il s’agissait de voyages éducatifs destinés à parfaire leur formation avant qu’ils n’assument leurs responsabilités d’adultes dans la société. Le voyage durait plusieurs mois, voire plusieurs années.
Ne faut-il pas en revenir aux origines du tourisme ? N’est-ce pas en effet une piste pour concilier découverte du monde, bonheur de vivre et transitions écologiques ? C’est la solution explorée par Caroline Taxil et Sébastien Baron. En ce mois de février 2025, ils sont en train de revenir de Nouvelle-Zélande vers la France presque sans avion. Nous l’avons interviewée alors qu’elle s’apprêtait à franchir la frontière du Viêt-Nam pour rentrer dans le Yunnan, en Chine, avant de prendre le transsibérien en Russie, vers le lac Baïkal, puis de passer en Mongolie, en Inde et au Népal. Voyager moins souvent, tous les 10 ans par exemple, mais plus longtemps et presque sans avion, n’est-ce pas une solution à envisager aussi pour vous ? Faites-vous donc votre idée en écoutant Caroline.
Peut-on tous concilier tourisme et réduction progressive de nos émissions ?
Mais bien sûr, tout le monde ne peut pas vivre une telle expérience. Comment donc concilier, pour le plus grand nombre possible, tourisme et réduction progressive de nos émissions ? Des solutions existent ; plusieurs convergent avec l’hypothèse explorée dans Transitions Actions. Elles ne passent pas en effet par la contrainte, mais par notre décision personnelle ! Une décision égoïstement prise dans notre intérêt parce que nous serions convaincus que le voyage bas-carbone peut être une expérience plus riche, plus intense ou encore plus accessible pour nos budgets.
Je voudrais ici examiner quatre de ces solutions qui toutes, tout au moins je le crois, s’émancipent du récit de la transition punition.
- Des incitations à « voyager bas-carbone », venant par exemple de nos employeurs et qui enrichissent ainsi leurs stratégies RSE.
- Le développement de plateformes européennes dédiées aux voyages sans avions.
- La réinvention des offres de tourisme de proximité et de dernière minute.
- La conception d’événements et de festivals sans avion.
Des congés en plus via des temps de trajet responsables
La première peut s’appuyer sur un socle de mesures déjà existantes. Elle enrichit par exemple des dispositifs comme les contributions de type Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) ou encore les logiques en mode « société à mission ». Appliquée aux voyages, cette solution consiste notamment à proposer des jours de congés supplémentaires pour des trajets bas-carbone. Cette solution est parfois connue sous le vocable « temps de trajet responsable » (TTR). C’est par exemple l’option retenue en 2023 par l’entreprise Ubiq citée ici. Celle-ci offre deux jours de congés supplémentaires pour les salarié(e)s qui choisissent des transports doux. Les salariés peuvent en bénéficier s’ils présentent la preuve qu’ils ont voyagé sans avion. Mais attention, ce ne sont pas des journées de congés classiques. Elles s’apparentent davantage à des moments où le collaborateur est invité à prendre du recul : lire une étude, réfléchir à un sujet de fond ou encore se ménager du temps pour comprendre ce qui se pratique ailleurs.
L’idée semble fertile ! Elle incite à en revenir à l’esprit originel du voyage évoqué plus haut, à ces moments où le périple offre une prise de recul et un temps de découverte et d’émotions. Le concept de TTR pourrait d’ailleurs sans nul doute être adapté pour des périples sans avion plus longs et plus loin, par exemple via une solution de type congés bas-carbone sans solde.
Agences spécialisées « parcours sans avion » ou comment inventer les professionnels du tourisme de demain ?
La seconde solution examinée est à bien des égards complémentaires de ces TTR. Elle est illustrée par la plateforme « Byway », au Royaume-Uni. Celle-ci organise des voyages sans avion en Europe, qui combinent train, ferry et bus, et proposent des itinéraires sur mesure. L’histoire de cette agence, et de sa fondatrice Cat Jones, est résumée ici.
Pour un blog comme Numericuss qui interroge la tech dans ses capacités à contribuer à atteindre l’objectif zéro carbone, le cas de l’agence Byway est passionnant. Afin de concilier véritable personnalisation des séjours, sans avion, et tarifs attractifs, l’entreprise utilise en effet les IA et plusieurs techniques digitales associées qui complètent son réseau d’experts et de partenaires locaux. J’ai toujours beaucoup cru à ce mix humains / local / Techs. Pour l’enrichir, les acteurs touristiques comme Byway gagneraient d’ailleurs à intégrer des offres plus contributives ou plus à impacts, comme les pistes de tourisme dit régénératif ou des expériences sans avion associées à la culture, à la musique ou aux sports comme celles évoquées ci-dessous.
Les festivals et les événements sans avion : est-ce possible ?
C’est en effet la troisième solution pour contribuer à voyager mieux et à bas-carbone. Elle consiste à organiser des événements sportifs ou culturels, des festivals ou encore des conférences qui invitent les participants à oublier l’avion et à prendre un peu plus de temps pour découvrir. Le mouvement prend d’ailleurs de l’ampleur.
Le festival des voyageurs alternatifs de Lille poursuit par exemple l’objectif de nous faire réfléchir à des formes de voyage alternatives, notamment sans recours à l’avion. Il met en avant des modes de déplacement doux et des pratiques écoresponsables.
« En roue libre » (Belgique) est le festival du voyage à vélo. Il cherche à « vous donner l’envie irrésistible d’enfourcher votre vélo pour partir à l’aventure. »
L’événement « Entre Rhône et Saône » propose trois jours d’animations autour de la thématique de l’eau, avec plus de 300 activités telles que des guinguettes et des pique-niques géants. Il met l’accent sur la sensibilisation à la fragilité des ressources naturelles et encourage les participants à adopter des modes de transport écologiques pour se rendre sur les lieux.
Ces exemples montrent ainsi de quelles manières l’évènementiel devient progressivement l’une des pièces de la boite à outils vers le « zéro émission 2050 ». Pour y parvenir, il faut d’ailleurs remarquer que ces nouvelles logiques d’événements augmentent leurs effets positifs sur et autour des territoires qui les accueillent, par exemple en jouant la carte du tourisme de proximité. Cela parlera à nombre d’entre-nous je crois.
Et si l’on réinventait le tourisme de proximité et les offres de dernières minutes associées ?
Cette quatrième solution pourrait bien d’ailleurs être l’une des pierres angulaires de l’écosystème esquissé précédemment. Elle consiste à réenchanter les séjours proches de chez nous, ces périples à portée de marche, de vélo, de trains… Là encore, les innovations font leur miel de tous ces endroits et de tous ces gens fabuleux proches de chez nous.
La Madjaques réunit par exemple des voyageurs repentis qui pensent qu’il est urgent de changer notre rapport au voyage. Ils affirment que « la Nouvelle Frontière, c’est la Creuse, pas Djakarta ». Pour eux « les steppes mongoles du 3e millénaire commencent au Nord de l’Aubrac et les nouvelles routes de la Soie sont en Picardie. D’ailleurs elles sentent le houblon. »
Chilowe et ses micro-aventures misent eux aussi sur un « mode de vie local, joyeux et tourné vers la nature ». C’est également le cas de Travelbase ou de 2jourspourvivre. L’UCPA avait montré la voie voici bien longtemps !
Le voyage de proximité : un moment vers le contrat naturel ?
La chaîne Transitions Actions reviendra sur ces solutions dans les prochains mois. Nous avons en effet l’intuition qu’elles nous permettent de faire quelques pas vers ce que Michel Serres nomme le Contrat Naturel. Dans son ouvrage éponyme (1990), il part du constat que les contrats sociaux traditionnels, qui régissent les relations entre les individus et les sociétés, ne prennent pas en compte les interactions avec la nature ; une observation depuis largement admise. Il propose donc d’étendre la notion de contrat social pour inventer ainsi un contrat naturel, expression d’une relation symbiotique avec la nature, où les deux parties bénéficient mutuellement de leurs interactions.
Ces voyages près de chez soi, ces instants expérientiels, ces esquisses de tourisme régénératif, ces vacances apprenantes ou encore ces périples slows, tous ces moments ne pourraient-ils pas contribuer à nous donner le temps, et mieux le plaisir, d’inventer notre contrat naturel au quotidien ? Serais-je encore une fois dans l’utopie, pire dans l’erreur ? La probabilité n’est pas nulle ! L’avenir le dira.
Toutefois, par-delà ces considérations quasi-métaphysiques sur l’habiter, au sens de la manière d’être sur terre, une conviction plus matérielle alimente mes énergies. Cette conviction est illustrée par Byway, Madjacques, Chilowe, ou encore par le festival en roue libre. Tous ces exemples esquissent je crois une sente dans la jungle du passage du monde d’hier à celui de demain. Ce chemin nous encourage à oser penser et à agir différemment. Pour cela, les exemples précédents montrent la place que pourrait prendre l’Europe pour inventer les industries post-carbone de demain. L’expression de Dominique Méda dans cette tribune du Monde complète bien cette conviction : elle y explique que « ce n’est pas d’un choc de simplification dont l’Europe a besoin, mais d’un choc d’ambition. »
Dans un temps où les USA surfent sur les économies du milieu du siècle dernier, où le backlash écologique et le haro sur le Pacte Vert européen deviennent le buzzwords des adeptes du monde d’avant, je suis paradoxalement chaque jour plus convaincu que ce devrait bien être l’un des principaux objectifs stratégiques européens. Le voyage peut-il modestement y contribuer ? Je veux croire que oui ; chacun son carburant non ?

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