Ce texte est le premier de Numericuss qui n’est pas signé par moi-même. C’est une première qui, je l’espère, ne restera pas une exception. Ce blog sert aussi à accueillir, outre les commentaires de tous, les textes de ceux qui veulent préciser, proposer ou agir pour faire avancer la France en matière d’aménagement ou de développement numériques. Ce texte est aussi une première car il est signé par un auteur qui a choisi d’utiliser un nom d’emprunt, « RIP« . Je ne goûte généralement pas le recours à l’anonymat sur le Web ; les forums fourmillent d’exemples de propos aussi excessifs que parfois injurieux masqués par cet anonymat. Dans ce cas précis, connaissant bien l’auteur, ses fonctions et son sens de l’intérêt général, je comprends cette position. J’ai donc choisi de publier ce texte sur Numericuss quelques jours avant les états généraux des RIP de Deauville. Il me semble que ce témoignage est en effet de nature à éclairer un débat qui parfois manque cruellement de convergences en expliquant les positions de ceux qui défendent la proposition de loi Maurey – Leroy.
Le 15 février 2012, vers 1h30 du matin, le Sénat adoptait en première lecture la proposition parlementaire de loi (PPL) des Sénateurs Hervé Maurey et Philippe Leroy intitulée « Assurer l’aménagement numérique du territoire ». Après le vote en 2004 de l’article L1425-1, de la Loi de Modernisation de l’Economie en 2008, puis, en décembre 2009, de la Loi dite « Pintât » instaurant le schéma directeur territorial d’aménagement numérique (SDTAN) ou le fonds d’aménagement numérique du territoire (FANT), une initiative parlementaire cherchait ainsi, une nouvelle fois, à favoriser la réussite du déploiement des réseaux de communications électroniques. Ce vote du 15 février 2012 venait d’ailleurs provisoirement clôturer une première phase de débats, ouverte notamment par le rapport du Sénateur Maurey sur la « Couverture numérique du territoire » et par le mémorandum signé par 7 collectivités locales visant à « replacer les collectivités locales au cœur de l’aménagement numérique du territoire ». Un des points communs entre ces actions fut de vouloir alerter l’Etat sur le risque de ne pouvoir agir pour la mise en place du très haut débit dans les mêmes conditions que celles qui ont concouru à la réussite du haut débit.
Rappelons que le très haut débit fait partie des 5 investissements d’avenir soutenus par l’Etat français. La proposition de loi Maurey-Leroy s’inscrit dans ce chantier en proposant un certain nombre d’aménagements et de précisions.
Veut-on clouer l’avion du très haut débit sur place ?
Depuis l’été dernier pourtant, les grands opérateurs de télécommunications comme la plupart des institutions nationales en charge du sujet, jusque dans l’éditorial n°58 du Président de l’ARCEP, n’ont eu de cesse de critiquer cette démarche. Pour eux, elle remettrait au goût du jour une opposition jugée désormais stérile entre opérateurs privés et collectivités locales. Dans ce domaine, le paroxysme a d’ailleurs été atteint en février 2012 avec la réaction de la fédération française des télécommunications et de l’ARCEP qui accusent tous deux la PPL de mettre à bas quatre ans d’effort pour organiser le cadre réglementaire du très haut débit, au risque de provoquer l’arrêt de tout investissement et, selon les terme du Ministre de l’Industrie, de « clouer l’avion sur place ou de l’empêcher de décoller ».
Les réactions provoquées par l’initiative parlementaire des Sénateurs Maurey et Leroy illustrent bien la difficulté actuelle du débat. Elles précisent également la vision d’acteurs nationaux qui passent sans doute trop de temps à définir des règlements et pas assez à mesurer, sur le terrain, les réalités de la conception et du déploiement d’un réseau de télécommunication. Cette contribution entend ainsi expliquer à nouveau le sens de la Proposition de Loi et, plus largement, des propositions qui émanent de nombreuses Collectivités Territoriales. La PPL n° 118 ne poursuit en effet d’autre but que de compléter les dispositifs législatifs existants en essayant de donner une meilleure assise juridique à des dispositions du programme nationale très haut débit établies le plus souvent sans concertation avec les collectivités locales et dénoncés depuis plusieurs mois par l’ensemble des associations d’élus !
Les vraies ambitions de la proposition de loi Maurey – Leroy
La PPL a pour seule ambition d’essayer de rééquilibrer les relations entres opérateurs privés et acteurs publics afin, selon les propres termes du rapporteur de la Loi le Sénateur Maurey, de refuser la « Domination » des collectivités locales par les opérateurs privés. La totalité du texte est bâti en ce sens. La proposition de loi propose d’abord de renforcer des procédures déjà existantes, en renforçant par exemple le rôle des SDTAN. Elle organise ensuite un premier mode d’alimentation du FANT voté déjà depuis en décembre 2009 mais toujours en panne de modes de financement. La PPL instaure enfin, de façon d’ailleurs non obligatoire, en cas d’accord sur la mise en œuvre du processus sur les zones d’appels à manifestation d’intérêts à investir (AMII), la signature d’une convention entre opérateurs privés et collectivités locales. Sur ce dernier point, qui concentre de nombreuses critiques émanant des acteurs publics, la PPL ne remet pas en cause les zones AMII. Elles proposent uniquement des règles à minima pour valider une convention afin d’éviter aux territoires de ce trouver livrée au bon vouloir d’un ou deux opérateurs « primo-investisseur », le plus souvent d’ailleurs de France-Télécom Orange.
D’une manière plus précise, la PPL poursuit les objectifs suivants afin d’améliorer la couverture mobile des territoires.
- Elle met en œuvre une instance pour redéfinir les critères d’éligibilité à la téléphonie mobile.
- Elle prend acte du Plan national très haut débit du Gouvernement avec les zones AMII mais elle met en œuvre un dispositif les encadrant.
- Elle propose un calendrier pour l’accès au haut débit.
- Elle reconnaît les projets intégrés, permettant aux collectivités locales d’engager des initiatives sur l’ensemble de leurs territoires si elles le souhaitent.
- Elle fixe un calendrier de basculement vers la fibre à l’abonné d’ici 2025.
- Elle prévoit un premier mode de financement du FANT, et ouvre le débat.
- Elle renforce l’action de l’ARCEP.
- Elle permet la reconnaissance du rôle des collectivités locales, et des opérateurs intervenant sur leur réseau dans le cadre des procédures publiques, pour construire et exploiter ceux-ci.
- Elle donne une valeur au SDTAN vis-à-vis des documents d’urbanisme.
Rien dans la PPL ne remet en cause ni les décisions de l’ARCEP, ni la définition des zones très denses, moyennement denses ou peu denses. Rien ne conteste la localisation des points de mutualisation. Rien ne refuse le nombre de fibre à déployer. Rien non plus ne s’attaque aux modes de co-investissement. Il s’agit avant tout, selon les termes du sénateur Philippe Leroy, d’une loi « technique » et sans idéologie. Elle entend recréer, pour le très haut débit, les mêmes conditions que celles qui ont permis à notre pays de réussir dans le haut débit par une action conjointe entre acteurs privés et publics. Elle cherche ainsi à vraiment lancer une démarche très haut débit sur l’ensemble du territoire avec une péréquation territoriale, des principes simples de contractualisation entre opérateurs publics et privés, permettant de pouvoir bénéficier de l’ensemble des dispositions ouvertes par les règles d’attribution de l’Union Européenne, mais sans dérogations.
Les Collectivités locales ont eu raison de réagir
La dénonciation par les collectivités locales d’un possible écrémage par les opérateurs privés intégrés et, plus particulièrement, par Orange et SFR des zones les plus rentables n’avait rien d’un procès par anticipation. En effet, sur la base de plus de 117 réseaux publics construits depuis dix ans, les RIP pouvaient légitimement s’interroger sur la réalité des déploiements envisagés et sur le calendrier proposé par le cadre réglementaire très haut débit.
Or, depuis maintenant plus d’un mois, tous se passe comme si les craintes émises par les collectivités locales sur la réalité des investissements des opérateurs intégrés s’avéraient justifier. Le psychodrame de l’arrivée de Free mobile en fournit une nouvelle démonstration ! Dans un marché à la fois réglementé et ouvert à la concurrence, une licence GSM attribuée il y a plus de deux ans vient en effet non seulement mettre à mal le modèle économique des trois opérateurs du mobile, mais aussi interférer, par ricochet, sur les prévisions des investissements très haut débit. On ne compte plus à ce sujet les déclarations des représentants des grands opérateurs qui décrivent les conséquences désastreuses de la politique de Free en matière de mobile sur le chiffre d’affaire ou la réduction des marges avec pour conséquence l’inéluctable réduction des investissements en faveur de la fibre. Avaient-ils oubliés l’arrivée de FREE Mobile en janvier 2012 ? Ou pensaient-ils celle-ci se ferait sans perte de clients via peut-être l’émergence d’une génération spontanée de nouveaux clients ?
Face à des marches arrières quasi annoncées, que faut-il donc penser des « engagements » des opérateurs qui ont répondu le 31 janvier 2011 à l’appel pour les zones AMII dans le cadre du Plan national Très haut débit ? Comment peut-on se contenter de simples engagements oraux de ces mêmes opérateurs en matière de réalisation du déploiement en zone très dense alors que nombre d’annonces dans le passé sont restées lettres mortes ?
Cela montre bien que les impératifs des opérateurs de télécommunications ne répondent pas aux mêmes règles que pour l’action publique, et que, si ceux-ci sont bien entendu légitimes, ils ne doivent pas pour autant dicter les règles de l’action publique. Le débat reste donc plus que jamais ouvert ; il doit être constructif et va surement occuper toute l’année 2012. Quelques soient les résultats électoraux à venir, il connaitra sans nul doute des évolutions. Un des enjeux sera bien de replacer « les collectivités locales au cœur de l’aménagement numérique du territoire ».
RIP.
Dans le milieu très autorisé des télécoms tricolores, on s’autorise à qui plus mieux à penser que Free a bel et bien fait péter le landerneau, entraînant le freinage des quatre fers sur les investissements dans le THD Fixe… Faudra financer les licences 4G, Coco, alors tu penses bien que la Fibre pour Madame Michu, hein, elle pourra attendre.
Faudrait peut-être arrêter de discuter du sexe des anges ? Tandis qu’énarches et politiques sont sous les murs d’internet afin de transférer 3, 4, 5, 6, 7 ou 8 points de PIB de nos revenus à leur poche.
Les collectivités locales disposent des mêmes moyens que Free d’exploser le landernau et au bénéfice des citoyens ; avec, en plus des prérogatives de puissance publique dont Free est dénué.
Nous verrons bien ce qu’il se passera le 12 mars ; je crains beaucoup qu’avec de mauvaises questions, il soit difficile de parvenir aux bonnes réponses. Le point positif est que FT et Besson aient perdu leur sang froid dans de telles proportions que les RIP se rendent compte être maîtres du bordel.
Entre temps, campagne électorale aidant, il est possible que Besson réalise que son avion est en réalité un fer à repasser difficile à faire décoller.
Force est de constater que la problématique du Très Haut Débit n’avance pas à… très haut débit. C’est évidemment un travail de longue haleine ponctué de quelques signaux positifs depuis quelques mois quant au rôle que doivent jouer les collectivités, non pas contre les opérateurs, mais en bonne intelligence.
Si comme le souligne Marc Duchesne, les opérateurs risquent de calmer leurs ardeurs sur les déploiement de la fibre, il faudra sans doute être vigilant quant à une tendance qui pourrait parallèlement conduire certaines collectivités à ne plus faire de la FTTH pour tous un objectif prioritaire. Récemment, dans une commission réunissant quelques élus et représentants de collectivités l »utopie de la fibre pour tous » (pour reprendre les termes employés) a en effet été évoquée en partant du constat que de nombreuses collectivités sont engagées dans la réalisation de SDTAN dans lesquels les scenarii envisagés pour le déploiement du Très Haut Débit reposent avant tout sur la fibre jusqu’à l’abonné, avec à la clé des projets aux coûts très élevés dans des délais tout aussi élevé.
Or, dans le contexte actuel, certains « grands décideurs » s’interrogent sur la faisabilité de ces projets compte tenu des incertitudes qui pèsent sur la capacité des collectivités à soutenir des investissements aussi conséquents sur plusieurs années au moment même où les finances publiques se tarissent. Ces mêmes grands décideurs fondent peu d’espoir quant à l’effet miraculeux sur l’abondement du FANT qui pourrait accompagner un changement de majorité lors des prochaines élections.
Par conséquent, l’idée qu’il est temps de considérer que la FTTH pour tous n’est peut-être pas une fin en soi, sans pour autant renoncer à assurer la couverture en THD de tous les territoires, commence à se répandre. De là à fonder beaucoup d’espoir sur le très haut débit mobile il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent donc pas à franchir considérant qu’en de nombreuses zones rurales, la fibre serait à réserver aux besoins du secteur économique, de la santé, de l’enseignement ou à des besoins spécifiques « isolés » (points hauts notamment), et ce d’autant plus que bon nombre de zones rurales sont prisées des touristiques dont la demande d’accès à internet en situation de mobilité s’accroît. Par conséquent, les perspectives du THD mobile offrent aux yeux de certains une réelle alternative, à moindre coup et dans des délais plus contenu que la FTTH, sans pour autant renoncer à la maîtrise de l’aménagement numérique de leur territoire.
Tout cela confirme qu’à force de prendre du retard le décollage de la FTTH pourrait remettre en question des choix stratégiques dans le déploiement du THD compte tenu de la pression qui pèse sur de nombreux décideurs dont on sait que la vision prospective ne dépasse rarement 5 ans (pas chez tous bien évidemment).
Ce serait d’autant plus grave qu’en terme de services et d’usages le potentiel du THD mobile n’est bien entendu pas le même que celui du THD fixe et donc de la FTTH. Ceci révèle que nombre de décideurs raisonnent encore et toujours uniquement en terme d’infrastructures et n’ont pas suffisamment pris en compte la problématique des usages restant prisonnier d’une logique verticale intégrée (infra, opérateur, services) au contraire d’une logique d’ouverture et de neutralité que seule l’initiative publique peut garantir. Pour finir, j’ajouterai que nombre de décideurs ont trop tendance à raisonner en terme de débit mais pas suffisamment en terme de services. Lorsqu’ils inverseront la réflexion, la FTTH et l’accès ouvert et neutre aux opérateurs de services (locaux notamment) couleront sous le sens. En espérant qu’il ne soit pas trop tard !
Tu rappelles bien le problème Patrick. Merci beaucoup. Comment passer d’un chantier tuyaux infrastructures à un projet de services et d’invention demandant des tuyaux qui suppriment quasi définitivement les barrières techno freinant les débits et les champs des possibles ? Que l’on arrête donc de déclamer de la « fibre partout » pour enfin penser « plus de services, plus de confort, plus d’emplois partout » grâce à un réseau Fttx dans lequel on disposera toujours du bon débit, celui qui est nécessaire, partout. Chez nous aussi, pro fibre, il faut changer de manière de penser sous peine de participer de fait à l’immobilisme.
Il y a quand même 2 points remis en cause par la PPL Maurey/Leroy, et le débat au Sénat s’est bien « crispé » sur le 1er d’entre eux :
1: la notion de Projets Intégrés (disparue de la version 2011 du PNTHD) réintroduite non pas dans une optique de « duplication », mais plutôt de complémentarité des infras support et sevices associés…
2: le problème posé par l’offre PRM de montée en débit, qui au delà de constituer en toute vraisemblance une « aide d’état déguisée » aux opérateurs de l’oligopole, pour ne pas dire du seul FT-O, contraint les Coll. Terr. à « financer le retour du Loup dans la Bergerie » ie au sein de leurs DSP…
services… dirai-je pas sévices (il y en a assez comme cela!)
Michel, je ne comprends pas bein ton point 1 « : la notion de Projets Intégrés (disparue de la version 2011 du PNTHD) réintroduite non pas dans une optique de « duplication », mais plutôt de complémentarité des infras support et services associés… » peux tu expliquer ?